Comment est née l'envie de nous conter
les aventures de Blaireau et de ses amis au cours de
quatre albums ?
C'est l'histoire de ma rencontre avec le roman de Kenneth
Grahame. J'y ai découvert tous les éléments
que j'avais envie de raconter depuis très longtemps.
Depuis le début des années 1990, Guy Delcourt
et moi parlions de notre désir de créer
des bandes dessinées pour enfants, un genre un
peu oublié par les auteurs. En 1994-1995, je
suis arrivé avec ce projet d'adaptation du Vent
dans les Saules. Conseillé par Flammarion,
afin de rassurer le milieu des instituteurs et des bibliothécaires,
Guy Delcourt s'est tourné vers l'adaptation de
contes, ce qu'à fait par exemple Mazan
avec Les Contes de Grimm. Mon projet s'inscrivait
dans cette tendance.
Et la rencontre avec l'ouvrage de Grahame
Vers l'âge de huit ans, l'un des premiers films
que je suis allé voir au cinéma, était
un Disney. En première partie de programme, j'avais
vu un dessin animé d'une demi-heure avec un crapaud
et les autres personnages du roman. C'était la
première fois que j'étais confronté
à un récit qui n'était pas complètement
linéaire. Il y avait une grande ellipse suivie
d'un flash-back. Cela a été un vrai choc
narratif pour l'enfant que j'étais. Je m'en suis
longtemps souvenu, et j'ai cherché à trouver
l'origine de ce dessin animé. En parlant avec
un ami dessinateur pour enfant, Loïc Jouannigot,
celui-ci en avait une copie qu'il m'a prêtée.
Et il m'a surtout conseillé de lire le roman,
se doutant que j'allais l'adorer ! Le dessin animé
est sympa, mais ne traite que des péripéties
de Crapaud. Le roman va plus loin que cela, il parle
de la vie, du rapport au monde et aux amis, de poésie
Cela vous était-il déjà
arrivé d'avoir envie, à la lecture d'un
roman, d'en faire une bande dessinée ?
Non, je n'ai pas eu envie d'adapter Le Vent dans
les Saules en le lisant. Comme je le fait souvent,
j'ai dessiné des petits croquis de ma vision
des personnages. A la lecture, des images me viennent
et j'essaye de chercher à les fixer sur le papier.
Quelques semaines après la lecture du roman,
un ami anglais, Ashley que je remercie au début
du premier tome, était de passage chez moi. Il
y découvre mes petits crobards. Et il a tout
de suite reconnu les personnages de Grahame. En Grande-Bretagne,
tous les petits Anglais ont lu ce livre. Il m'a dit
totalement retrouver dans mes dessins ce dont il avait
rêvé enfant. Et il me dit que si j'ai envie
d'en faire une BD
Pour moi, ça a alors
été le déclic.
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Il ne restait plus qu'à adapter le roman
!
On commence par se poser beaucoup de questions, puis
on se lance (rires) ! J'ai cherché à
garder l'aspect littéraire du roman, en mettant
des textes narratifs assez importants qui me paraissent
essentiels pour faire passer les émotions présentes
dans le livre. J'ai également conservé
le système des chapitres, trois par volumes.
Cela permet pour les plus petits de faire des pauses
dans leur lecture. Mes chapitres correspondent à
ceux du roman. Ma méthode était la suivante
: je relisais un chapitre, en faisait un résumé
extrêmement succinct, j'établissais une
annotation avec ce qu'il me semblait être les
intentions de l'auteur, puis je notais mes propres intentions.
Ensuite, je laissais le roman de côté,
et par rapport à mes notes, je redéveloppais.
C'est vraiment un travail de réécriture.
Ce projet était d'abord destiné
à la jeunesse. Mais comment réagissez-vous
quand vous voyiez que Le Vent dans les Saules plaît
à tous les âges ?
Je suis ravi ! Mes lecteurs, du moins ceux que j'ai
rencontrés, ont de 5 à 85 ans. Je pense
que toutes les bonnes histoires pour enfants, que ce
soit Peter Pan, Alice au pays des merveilles,
Le Petit Prince, s'adressent aussi aux adultes.
C'est le principe du conte traditionnel, celui qui était
rapporté à la veillée. Il y a toujours
plusieurs niveaux de lectures : aventure pour les enfants,
initiatique pour les adolescents, sexuel pour les parents
et philosophique pour les grands-parents. C'est aussi
un aspect que j'ai cherché à obtenir dans
mon adaptation. A partir du moment où je voulais
garder cet aspect littéraire, j'étais
obligé d'employer un vocabulaire pas forcément
simple pour les plus jeunes. J'ai fait le pari que leurs
parents les aideraient dans leur lecture. Il me fallait
donc m'adresser aussi aux adultes.
Avez-vous des échos de personnes qui sont
venus au roman après la bande dessinée
?
Oui, et j'en suis très content. C'était
un des buts de mon adaptation. Des lecteurs m'ont remercié
de leur avoir ainsi fait découvrir le roman.
En revanche, ils ne m'ont pas dit ce qu'ils préféraient,
le roman ou l'adaptation (rires) !
Votre série a-t-elle été
traduite en Angleterre ?
Non, mais aux Etats-Unis. Les Américains ont
eu l'air d'apprécier puisque j'ai reçu
un prix là-bas. Mais c'est une chose difficile
Imaginez que les Britanniques adaptent, par exemple,
Le Petit Prince. Nous serions forcément
très dubitatifs, à priori.
Évoquons maintenant votre dessin sur Le
Vent dans les Saules
Ce n'est pas évident pour un dessinateur d'analyser
son travail. On touche à des zones d'inconscient.
Il y a toute une partie qui nous échappe. Je
retrouve mon style naturel dans Le Vent dans les
Saules, à la différence du dessin
de Julien Boisvert qui, sur la fin, devenait
une série de plus en plus urbaine. La ville contemporaine
est ce que je déteste le plus dessiner. Je ne
trouve pas ça vivant, et j'aime bien dessiner
ce qui est vivant. Je me forçais avec Julien
Boisvert, alors que je ne ressens que du plaisir
avec Le Vent dans les Saules.
Quelle est votre technique ?
Je dessine sur un format plus grand que celui
de publication. Je fais des crayonnés que je
n'encre pas. Je fais ensuite une photocopie en faisant
noircir mes traits de crayon. Ça fait l'encrage
à ma place ! J'envoie cette copie à l'éditeur
pour qu'il me fasse des bleus sur lesquels je réalise
ma mise en couleurs à l'aquarelle.
Comment naissent les dessins de vos couvertures
?
Pour les trois premières, cela m'est venu très
vite, en faisant les découpages du premier tome.
La première est bucolique, c'est la ballade en
rivière, l'aspect contemplatif du roman ; la
deuxième est pétaradante, ce sont les
conneries de Crapaud, l'aspect loufoque du roman ; la
troisième est plus portée sur l'ambiance,
le suspens ; la quatrième, c'est l'action. J'ai
voulu faire apparaître les quatre grands aspects
du roman.
Pour ce qui est du dessin toujours, vous avez
établi une collaboration très intéressante
avec Loïc Jouannigot
L'ami anglais dont je vous ai aussi parlé, Ashley,
a l'habitude de tenir un journal intime qu'il dessine.
Narrativement, face à la densité d'éléments
à raconter, j'ai eu l'idée que Taupe tienne
un carnet de dessins. Pour le représenter, j'aurais
dû me forcer à avoir un dessin différent
du mien. J'ai donc confié ces parties à
Loïc, qui est un dessinateur qui appartient à
la même famille que moi, nous avons des influences
et des références communes. C'était
aussi un clin d'il pour le remercier de m'avoir
fait découvrir le roman. Sans rien de péjoratif,
je trouve un aspect gentil dans son dessin qui me plaît
beaucoup, qui correspondait parfaitement au caractère
de Taupe.
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Comment avez-vous vécu avec ces personnages
que vous n'avez pas créés ?
A partir du moment où j'ai fait cette adaptation,
il fallait qu'ils deviennent mes propres personnages.
Dans chaque personnage du Vent dans les Saules,
j'ai mis autant de moi-même que j'ai pu en mettre
dans les personnages de Julien Boisvert. Ça
a été une redécouverte. Et maintenant,
j'ai envie de continuer à vivre avec ces personnages
Le quatrième et dernier tome du Vent
dans les Saules se termine justement par une
ouverture
Normalement, il devrait y avoir un nouveau cycle de
trois ou quatre albums. Il s'agira d'une histoire originale.
Il y a un chapitre du roman que je n'ai pas traité.
Il va me servir de point de départ pour ce nouveau
cycle. Crapaud va une fois de plus péter les
plombs. Il va vouloir voyager, s'embarquer clandestinement
sur un clipper, Rat et Taupe vont essayer de le maîtriser
au moment où le bateau largue les amarres. Les
amis vont ainsi se retrouver partis pour un voyage non
préparé
ils vont échouer
aux portes du Maghreb. Cela portera un titre rappelant
celui du Vent dans les Saules : Le Vent d'Orient
ou Le Sirocco dans les Palmiers. Là, je dis n'importe
quoi (rires) ! Tout est parti d'une image que
j'ai eu dans la tête : Crapaud avec une ombrelle
sur un dromadaire. Cela m'a tellement fait rire qu'il
faut que je fasse une histoire autour de cela !
Propos recueillis par Nicolas
Anspach et Brieg
F. Haslé en Janvier 2003
© Auracan.com 2003
Toutes les illustrations sont © Michel Plessix
& Delcourt
La photographie de l'auteur est © Brieg F. Haslé
- Auracan.com
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