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Michel Plessix  -  Photo : (c) Brieg F. Haslé / Auracan.com

Avec son adaptation du roman de Kenneth Grahame (1859-1932), Le Vent dans les Saules, le dessinateur Michel Plessix rencontre un succès mérité. Précis, drôle et ironique, son travail fait la part belle à des compositions riches de mille détails. Tout en respectant le travail initial de l'auteur britannique, il a su insuffler au Vent dans les Saules une vision personnelle, développant avec talent le caractère de personnages truculents. Pour notre plus grand plaisir, Michel Plessix revient sur la recréation de ce grand classique de la littérature jeunesse, et nous confie ses projets.

Illustration réalisée pour un ex-libris (libraire Durango)

Comment est née l'envie de nous conter les aventures de Blaireau et de ses amis au cours de quatre albums ?
C'est l'histoire de ma rencontre avec le roman de Kenneth Grahame. J'y ai découvert tous les éléments que j'avais envie de raconter depuis très longtemps. Depuis le début des années 1990, Guy Delcourt et moi parlions de notre désir de créer des bandes dessinées pour enfants, un genre un peu oublié par les auteurs. En 1994-1995, je suis arrivé avec ce projet d'adaptation du Vent dans les Saules. Conseillé par Flammarion, afin de rassurer le milieu des instituteurs et des bibliothécaires, Guy Delcourt s'est tourné vers l'adaptation de contes, ce qu'à fait par exemple Mazan avec Les Contes de Grimm. Mon projet s'inscrivait dans cette tendance.

Et la rencontre avec l'ouvrage de Grahame…
Vers l'âge de huit ans, l'un des premiers films que je suis allé voir au cinéma, était un Disney. En première partie de programme, j'avais vu un dessin animé d'une demi-heure avec un crapaud et les autres personnages du roman. C'était la première fois que j'étais confronté à un récit qui n'était pas complètement linéaire. Il y avait une grande ellipse suivie d'un flash-back. Cela a été un vrai choc narratif pour l'enfant que j'étais. Je m'en suis longtemps souvenu, et j'ai cherché à trouver l'origine de ce dessin animé. En parlant avec un ami dessinateur pour enfant, Loïc Jouannigot, celui-ci en avait une copie qu'il m'a prêtée. Et il m'a surtout conseillé de lire le roman, se doutant que j'allais l'adorer ! Le dessin animé est sympa, mais ne traite que des péripéties de Crapaud. Le roman va plus loin que cela, il parle de la vie, du rapport au monde et aux amis, de poésie…

Cela vous était-il déjà arrivé d'avoir envie, à la lecture d'un roman, d'en faire une bande dessinée ?
Non, je n'ai pas eu envie d'adapter Le Vent dans les Saules en le lisant. Comme je le fait souvent, j'ai dessiné des petits croquis de ma vision des personnages. A la lecture, des images me viennent et j'essaye de chercher à les fixer sur le papier. Quelques semaines après la lecture du roman, un ami anglais, Ashley que je remercie au début du premier tome, était de passage chez moi. Il y découvre mes petits crobards. Et il a tout de suite reconnu les personnages de Grahame. En Grande-Bretagne, tous les petits Anglais ont lu ce livre. Il m'a dit totalement retrouver dans mes dessins ce dont il avait rêvé enfant. Et il me dit que si j'ai envie d'en faire une BD… Pour moi, ça a alors été le déclic.

 
Extrait du T4.


Il ne restait plus qu'à adapter le roman !…
On commence par se poser beaucoup de questions, puis on se lance (rires) ! J'ai cherché à garder l'aspect littéraire du roman, en mettant des textes narratifs assez importants qui me paraissent essentiels pour faire passer les émotions présentes dans le livre. J'ai également conservé le système des chapitres, trois par volumes. Cela permet pour les plus petits de faire des pauses dans leur lecture. Mes chapitres correspondent à ceux du roman. Ma méthode était la suivante : je relisais un chapitre, en faisait un résumé extrêmement succinct, j'établissais une annotation avec ce qu'il me semblait être les intentions de l'auteur, puis je notais mes propres intentions. Ensuite, je laissais le roman de côté, et par rapport à mes notes, je redéveloppais. C'est vraiment un travail de réécriture.

Ce projet était d'abord destiné à la jeunesse. Mais comment réagissez-vous quand vous voyiez que Le Vent dans les Saules plaît à tous les âges ?
Je suis ravi ! Mes lecteurs, du moins ceux que j'ai rencontrés, ont de 5 à 85 ans. Je pense que toutes les bonnes histoires pour enfants, que ce soit Peter Pan, Alice au pays des merveilles, Le Petit Prince, s'adressent aussi aux adultes. C'est le principe du conte traditionnel, celui qui était rapporté à la veillée. Il y a toujours plusieurs niveaux de lectures : aventure pour les enfants, initiatique pour les adolescents, sexuel pour les parents et philosophique pour les grands-parents. C'est aussi un aspect que j'ai cherché à obtenir dans mon adaptation. A partir du moment où je voulais garder cet aspect littéraire, j'étais obligé d'employer un vocabulaire pas forcément simple pour les plus jeunes. J'ai fait le pari que leurs parents les aideraient dans leur lecture. Il me fallait donc m'adresser aussi aux adultes.

Avez-vous des échos de personnes qui sont venus au roman après la bande dessinée ?
Oui, et j'en suis très content. C'était un des buts de mon adaptation. Des lecteurs m'ont remercié de leur avoir ainsi fait découvrir le roman. En revanche, ils ne m'ont pas dit ce qu'ils préféraient, le roman ou l'adaptation (rires) !

 
Extrait du T4.

Votre série a-t-elle été traduite en Angleterre ?
Non, mais aux Etats-Unis. Les Américains ont eu l'air d'apprécier puisque j'ai reçu un prix là-bas. Mais c'est une chose difficile… Imaginez que les Britanniques adaptent, par exemple, Le Petit Prince. Nous serions forcément très dubitatifs, à priori.

Évoquons maintenant votre dessin sur Le Vent dans les Saules
Ce n'est pas évident pour un dessinateur d'analyser son travail. On touche à des zones d'inconscient. Il y a toute une partie qui nous échappe. Je retrouve mon style naturel dans Le Vent dans les Saules, à la différence du dessin de Julien Boisvert qui, sur la fin, devenait une série de plus en plus urbaine. La ville contemporaine est ce que je déteste le plus dessiner. Je ne trouve pas ça vivant, et j'aime bien dessiner ce qui est vivant. Je me forçais avec Julien Boisvert, alors que je ne ressens que du plaisir avec Le Vent dans les Saules.

Quelle est votre technique ?
Je dessine sur un format plus grand que celui de publication. Je fais des crayonnés que je n'encre pas. Je fais ensuite une photocopie en faisant noircir mes traits de crayon. Ça fait l'encrage à ma place ! J'envoie cette copie à l'éditeur pour qu'il me fasse des bleus sur lesquels je réalise ma mise en couleurs à l'aquarelle.

Comment naissent les dessins de vos couvertures ?
Pour les trois premières, cela m'est venu très vite, en faisant les découpages du premier tome. La première est bucolique, c'est la ballade en rivière, l'aspect contemplatif du roman ; la deuxième est pétaradante, ce sont les conneries de Crapaud, l'aspect loufoque du roman ; la troisième est plus portée sur l'ambiance, le suspens ; la quatrième, c'est l'action. J'ai voulu faire apparaître les quatre grands aspects du roman.

Pour ce qui est du dessin toujours, vous avez établi une collaboration très intéressante avec Loïc Jouannigot…
L'ami anglais dont je vous ai aussi parlé, Ashley, a l'habitude de tenir un journal intime qu'il dessine. Narrativement, face à la densité d'éléments à raconter, j'ai eu l'idée que Taupe tienne un carnet de dessins. Pour le représenter, j'aurais dû me forcer à avoir un dessin différent du mien. J'ai donc confié ces parties à Loïc, qui est un dessinateur qui appartient à la même famille que moi, nous avons des influences et des références communes. C'était aussi un clin d'œil pour le remercier de m'avoir fait découvrir le roman. Sans rien de péjoratif, je trouve un aspect gentil dans son dessin qui me plaît beaucoup, qui correspondait parfaitement au caractère de Taupe.
Extrait du T4.

Comment avez-vous vécu avec ces personnages que vous n'avez pas créés ?
A partir du moment où j'ai fait cette adaptation, il fallait qu'ils deviennent mes propres personnages. Dans chaque personnage du Vent dans les Saules, j'ai mis autant de moi-même que j'ai pu en mettre dans les personnages de Julien Boisvert. Ça a été une redécouverte. Et maintenant, j'ai envie de continuer à vivre avec ces personnages…

Le quatrième et dernier tome du Vent dans les Saules se termine justement par une ouverture…
Normalement, il devrait y avoir un nouveau cycle de trois ou quatre albums. Il s'agira d'une histoire originale. Il y a un chapitre du roman que je n'ai pas traité. Il va me servir de point de départ pour ce nouveau cycle. Crapaud va une fois de plus péter les plombs. Il va vouloir voyager, s'embarquer clandestinement sur un clipper, Rat et Taupe vont essayer de le maîtriser au moment où le bateau largue les amarres. Les amis vont ainsi se retrouver partis pour un voyage non préparé… ils vont échouer aux portes du Maghreb. Cela portera un titre rappelant celui du Vent dans les Saules : Le Vent d'Orient ou Le Sirocco dans les Palmiers. Là, je dis n'importe quoi (rires) ! Tout est parti d'une image que j'ai eu dans la tête : Crapaud avec une ombrelle sur un dromadaire. Cela m'a tellement fait rire qu'il faut que je fasse une histoire autour de cela !

Propos recueillis par Nicolas Anspach et Brieg F. Haslé en Janvier 2003
© Auracan.com 2003
 


Toutes les illustrations sont © Michel Plessix & Delcourt
La photographie de l'auteur est © Brieg F. Haslé - Auracan.com

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