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Entretien avec Arnaud Le Gouëfflec et Julien Solé

« Monsieur Léon est un héros. Mais ses combats, il les livre à l’intérieur. » 

Ça ne se voit pas forcément tout de suite, mais Monsieur Léon est un héros. Un héros du quotidien. Finement dissimulé derrière l'apparence d’un monsieur Tout-le-monde, il traverse ce monde hostile avec poésie et légèreté, bravant tous les couvre-feux, sur un air de mambo ou de cha-cha-cha. Car Léon a un pouvoir : il est doté d’une imagination sans limites. Et il a un secret : il est amoureux…

Rencontre avec le scénariste Arnaud Le Gouëfflec et le dessinateur-coloriste Julien Solé.


Julien Solé et Arnaud Le Gouëfflec
© Pierre Chapin / Le Télégramme

Avant de parler de Monsieur Léon, principal protagoniste de votre nouvel album éponyme, une simple interrogation : comment vous êtes-vous rencontré ?

Arnaud Le Gouëfflec - Dans une soirée mambo dans les catacombes ! Non, tout simplement en dédicace commune au Festival Mix’Arts à Brest. J’étais en retard parce que je revenais d’une dédicace dans une librairie de Saint-Brieuc où je n’avais rien dédicacé, mais où un monsieur était venu me demander le prix des stylos Montblanc ! Avec Julien, on a immédiatement sympathisé, et puis, avec sa petite famille, ils sont venus s’installer à Brest quelques années plus tard, ce qui montre à quel point c’est un homme de goût et moi un abominable chauvin.

Julien Solé - Arnaud a tout dit ! J’avais dédicacé la veille à la librairie Dialogues, notamment pour un monsieur responsable des bibliothèques embarquées dans les sous-marins. Totalement intrigué et fasciné par la ville, Arnaud n’a fait que confirmer, rencontre après rencontre, cette étrange attirance pour Brest. Je me souviens qu’on a plus parlé musique que bande dessinée ce jour-là, et ça n’a pas vraiment changé depuis. Rencontre assez déterminante, donc !


Recherche de couverture

Mais qui est donc Monsieur Léon ?

ALG - Monsieur Léon est un héros. Mais ses combats, il les livre à l’intérieur. C’est un monsieur d’apparence lambda, qui va pointer au boulot, déroule une vie lisse en apparence, mais qui a développé une vie intérieure très riche : imagination débridée, passions dévorantes, amour fou pour sa voisine de palier. Monsieur Léon, c’est celui qui rentre chez lui, ferme sa porte, souffle profondément, et se cuisine un bon petit plat en écoutant les roucoulades de Bobby Capó sur 78 tours, qui pratique le tango, et ne fait que ce qu’il a décidé de faire.

JS - Monsieur Léon vit intérieurement en couleurs dans un monde monochrome, il se glisse dans les interstices pour rejoindre son jardin secret. Un passionné qui n’a l'air de rien et à qui on ne prête aucune attention. Un héros, oui, un super héros, même, dont le super pouvoir serait une imagination sans limites. J’aime bien le définir comme un personnage psychédélique, voire même un peu punk parfois ! Narrativement et graphiquement, c’est surtout l’occasion de jouer sur ces contrastes et c’est pour ma part un régal à dessiner.

Bien évidemment, ces historiettes initialement parues dans la revue Fluide Glacial, et ici réunies en un copieux album de 64 pages tout en couleurs, sont nées des répétitifs et passablement insupportables confinements dus à la Covid-19…

ALG - Oui, juste après le premier, en fait. Jean-Christophe Delpierre, le rédacteur en chef de Fluide, nous a demandé si on voulait faire une petite histoire sur le thème du masque, et Monsieur Léon est apparu comme ça, par hasard, alors même que j’avais la ferme intention de ne pas utiliser ces histoires de confinement comme matière première. Mais le sujet, finalement, c’est moins le confinement que Léon. L’époque anxiogène que nous vivons sert juste de toile de fond, ou de contrepoint à ses aventures.

JS - C’est presque accidentellement, effectivement, que tout ça a commencé. Paradoxalement, j’avais un boulot de dingue à ce moment-là, alors que tout semblait ralentir. Ces trois premières pages, je les ai dessinées dans l’urgence, persuadé que ce petit personnage serait sans lendemain. Mais il s’est passé quelque chose, un modeste alignement de petits astres, ça nous a plu, la rédaction de Fluide a aimé et c’était parti ! Arnaud le dit bien, le contexte inquiétant de la pandémie est présent, mais presque abstrait parfois. La période était de toute façon étrange, et ce qui a suivi et nous occupe aujourd’hui tout autant.

Mais, finalement, le confinement, n’est-ce pas le quotidien de tout créateur, scénariste ou dessinateur, digne de ce nom ?

JS - Je suis personnellement bardé de tout un tas de diplômes en confinement, un expert, un docteur es confiné. Tout ça n’a pas changé grand chose à mon quotidien de dessinateur, sauf qu’il y avait tout le monde à la maison et qu’il fallait remplir de drôles d’attestations pour sortir faire des courses. C’est curieux, le premier confinement, j'en ai un souvenir presque nostalgique... Il faudrait peut-être que je songe à consulter un psychothérapeute, non ? De toute façon, l’exercice de la BD rend fou, c’est connu !

ALG - Il y a une grande différence entre s’enfermer pour avoir la paix et être enfermé par décret. C’est comme manger des épinards parce qu’on aime ça ou être obligé de finir son assiette à la cantine.

Pourquoi cet acharnement sur les forces de police « anti gilets jaunes » et cette acrimonie envers ce pauvre et fort peu sympathique préfet de Police qui ne fait que faire son boulot ? Et que vous n’hésitez pas à défoncer avec de mauvaises herbes…

ALG - C’est juste une chronique du temps qui passe, et il se trouve que le temps a passé comme ça, violemment, avec des gens habillés en jaune sur lesquels, il faut en convenir, il y a eu quelques coups de portés. Personnellement, j’ai trouvé ces événements insupportables. Quant au préfet, rien de personnel, c’est juste qu'il est naturellement un personnage de bande dessinée, sans doute à cause de la casquette. Donc on s’est inspiré de lui pour fabriquer le personnage de Lepicard.

JS - S’il y a eu acharnement, ce n’est pas de notre part ! Comment ne pas rendre hommage à la qualité du casting de tous les événements de cette période ? Une merveille ce préfet : le nom, l’allure, l’attitude, tout est parfait. Les gilets jaunes, la police, les frondes du samedi... les scénaristes s’en sont donnés à cœur joie, il fallait leur rendre hommage !

Aurons-nous l’occasion de connaître la suite des non-aventures de Monsieur Léon et de sa voisine, la « délicieuse » Mademoiselle Sophie ?

ALG - Absolument, nous sommes en train d’y travailler, et un deuxième album est prévu, après des publications en épisodes dans le magazine Fluide Glacial durant toute l’année 2023.

JS - Nous en avions très envie et Fluide nous a dit oui. C’est donc un travail d’ores et déjà en cours. Et dès les premières pages, c’est déjà un bonheur à dessiner ! Même si Arnaud n’hésite pas à me mettre au défi de traduire graphiquement ses histoires un peu dingues.


Autre recherche de couverture

Cela fait des années que vous vous tournez autour, et Monsieur Léon est votre premier album en commun. Nul doute que vous n’allez pas vous arrêter là… Dites-nous tout !

ALG - Nous avons des projets de science-fiction et de zombies, et ce n’est pas juste à cause de l’époque... Nous envisageons ainsi de reprendre la série The Zumbies que Yan Lindingre avait scénarisée pour Julien sur les deux premiers tomes, et dont nous avons commencé à élaborer des épisodes dans le magazine Fluide Glacial en vue d'un troisième tome. Nous réfléchissons aussi à une histoire très différente, dans un registre SF, mais nous n'en sommes qu'aux prémices...

JS - Je suis le spécialiste des débuts de projets inachevés et avec Arnaud, il y en a eu, chez Fluide et ailleurs ! Au point que toutes ces pages orphelines pourraient remplir un livre. On a mis du temps, des années en fait, mais cela valait le coup, je pense, avec Monsieur Léon. S’arrêter là n’est donc même pas envisageable. De la SF, oui, nous nous sommes rendus compte que la question nous travaillait chacun de notre côté, nous sommes en pleine réflexion. Et The Zumbies, qu’il me brûle de reprendre et d’achever (même s’ils sont déjà morts) avec Arnaud, et une belle surprise à la clé (de sol).

À lire également sur Auracan.com : entretiens avec Briac et Arnaud Le Gouëfflec à propos de leur album La Nuit Mac Orlan (2014) et de leur roman graphique Méridien (2022).

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