Entretien avec Yan Le Gat et Pierre Fouillet
Yan Le Gat et Pierre Fouillet © Le Télégramme |
« Donner le goût de la connaissance du monde d’hier pour mieux comprendre celui d’aujourd’hui. »
Allons Z’enfants est une série jeunesse en trois tomes qui raconte avec humour aux enfants le monde d’hier pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui. Au cours des opus de cette formidable trilogie parue aux éditions Sarbacane, le lecteur suit ainsi trois générations de la famille bretonne Quélennec de 1870 à l’année 1963…
L’occasion pour les auteurs de nous raconter la petite histoire de ces témoins de la grande histoire. Passionnant, amusant et pertinent ! Rencontre avec le scénariste Yan Le Gat et le dessinateur Pierre Fouillet…
Avant de parler de votre trilogie Allons Z’enfants, pouvez-vous vous présenter ?
Yan Le Gat – Je suis Brestois, historien et scénariste de bande dessinée. J’enseigne au lycée de l’Élorn à Landerneau et j’habite Le Relecq-Kerhuon (je me suis « expatrié » sans trop m’éloigner de Brest, ma ville natale). Ma trajectoire en tant qu’auteur a commencé par une histoire de rencontre, comme souvent. Enseignant à temps partiel à l’UBO, j’avais entamé, sous la direction d’Yvon Tranvouez, un chantier de recherches sur l’historiographie catholique durant l’entre-deux-guerres. C’est alors que j’ai rencontré Olivier Polard (notre historien bresto-brestois) qui m’a proposé un projet d’écriture sur l’histoire du Vauban, cet hôtel-restaurant-salle de concert mythique au cœur de Brest. J’ai hésité… deux secondes ! À partir de là, d’autres projets se sont enchaînés grâce à la confiance des éditions Dialogues qui m'ont commandé en 2016 le projet d’une histoire de Brest illustrée à destination des enfants : Brest, une histoire illustrée (illustrations de David Cren, éd. Dialogues 2017).
L’exercice m’a beaucoup plu dans la mesure où j’ai compris assez vite l’intérêt d’associer texte et dessin pour raconter l’histoire ou… des histoires. C’est dans cette perspective que je me suis inséré dans ce beau projet collectif qu’était la revue Casier[s] en proposant quelques scénarios et surtout en travaillant de concert avec de talentueux dessinateurs à l’image d’Erwan Le Bot, Julien Solé, Florent Calvez ou encore David Cren qui m’ont accompagné dans un univers qui n’est pas forcément le mien. C’est ainsi que je me suis pris au jeu, assimilant l’écriture d’un scénario à la construction d’un film ou le réalisateur-dessinateur donne vie à l’imagination du scénariste. J’ai alors travaillé sur un projet mêlant petite et grande histoire, un projet retenu par Frédéric Lavabre des éditions Sarbacane qui m’a fait confiance et surtout qui m’a permis de rencontrer Pierre avec qui nous cheminons ensemble dans l’univers de la BD jeunesse depuis déjà quatre ans.
Et comment vous êtes-vous rencontré, et avez-vous décidé de travailler ensemble ?
YLG – C’est Frédéric Lavabre des éditions Sarbacane qui a organisé cette rencontre « au sommet ». Avec Pierre, on s’est tout de suite entendus, à tous les niveaux. On est très proches, y compris dans le partage de certaines valeurs.
Pierre Fouillet – Oui des valeurs humanistes, et en plus on a le même humour et ça c’est chouette de travailler dans la joie…
Extrait de Allons Z'enfants T1 : François & Josette - de 1870 à 1918 |
Pourquoi une trilogie narrant trois générations brestoises ?
YLG – Le point de départ est la découverte un peu fortuite du livret militaire de mon arrière-arrière-grand-père aux archives de la marine de Brest. Il était quartier-maître-chef dans la « Coloniale » et avait parcouru le monde (Chine, Maroc, Afrique Equatoriale Française, Première Guerre mondiale dans les Dardanelles…) participant à l’entreprise de domination d’autres peuples au nom d’un prétendu devoir « civilisateur » cher à la IIIe République. A-t-il éprouvé des scrupules ? Exprimé des doutes ? Je n’en saurai jamais rien, mais j’en ai fait un héros anticolonialiste et le point de départ de cette geste familiale. Après, je me suis beaucoup servi de mes travaux de recherches sur l’histoire populaire brestoise pour donner corps à ce récit. On retrouve notamment l’histoire du Vauban (réinventée pour l’occasion) et des références à la culture brestoise à travers l’évocation de chansonniers comme Yann Robert. Enfin, si Brest est si présente, c’est aussi parce que j’ai un attachement viscéral à cette ville, ma ville.
Extrait de Allons Z'enfants T1 : François & Josette - de 1870 à 1918 |
J’ai rarement lu une série bédessinée aussi intelligemment construite : via une saga familiale, vous dépeignez une vaste tranche de l’histoire de France allant de l’époque de Napoléon III au début des années 1960…
PF – Merci et en plus certaines périodes comme le début du siècle sont moins traitées dans la bande dessinée que la Seconde Guerre mondiale : qui se souvient de Fachoda ?
YLG – Un grand merci pour ce retour, ça me touche beaucoup. Pour être tout à fait honnête, il y a sans doute plusieurs choses qui ont pu concourir au succès de cette série : un récit authentique qui prend racine dans mon histoire familiale, des personnages forts (et cela inclut les personnages féminins), l’expérience de l’enseignement et la dynamique insufflée par un travail collectif entre Pierre, moi, Frédéric et Marie Lavabre pour la partie éditoriale.
Extrait de Allons Z'enfants T2 : Jean & Suzanne - de 1918 à 1945 |
Et pourquoi ne pas avoir abordé les décennies suivantes – voire même les précédentes ? À moins que vous ne prépariez de nouveaux épisodes…
YLG – J’ai effectivement songé à une nouvelle trilogie qui irait jusqu’au 11 septembre 2001. Je trouve que cela aurait beaucoup de sens d’aborder l’histoire récente dont les problématiques et les lignes de fractures traversent notre actualité. J’ai même déjà la planche finale en tête. La balle est dans le camp de l’éditeur d’autant qu’il y a une vraie demande de la part de nos lecteurs.
PF – On pourrait enfin savoir qui a tué le président Kennedy, n’est-ce pas Yan ?
Extrait de Allons Z'enfants T2 : Jean & Suzanne - de 1918 à 1945 |
Via une chronique familiale, vous balayez de nombreuses décennies en rendant des sujets – que certains jeunes lecteurs pourraient trouver totalement barbants – absolument passionnants !
YLG – Je pense qu’il ne faut jamais oublier le fait que l’histoire est « la science des hommes dans le passé » selon les bons mots de Marc Bloch. C’est une science sociale et humaine, elle doit donc s’incarner. C’est aussi tout le sens de mon enseignement, tirer le fil maïeutique à partir de situations vécues, cela a souvent plus de sens et d’efficacité pédagogique pour aborder des notions plus complexes. Je voudrais aussi rendre hommage au dessin de Pierre qui concoure à l’incarnation de ce récit, le rendant plus accessible aux plus jeunes.
Extrait de Allons Z'enfants T2 : Jean & Suzanne - de 1918 à 1945 |
Pierre, quelle a été votre approche graphique pour mettre en scène le récit de Yan ?
PF – Avec Yan nous avons parlé de tout. Graphiquement l’utilisation d’un dessin naïf et caricatural fait mieux passer les événements tragiques de l’histoire. De plus le fait que les personnages vieillissent au cours du récit m’oblige à les rendre très reconnaissables, sans oublier qu’ils sont de la même famille…
Extrait de Allons Z'enfants T2 : Jean & Suzanne - de 1918 à 1945 |
Vous mettez vous-même en couleurs vos cases et vos planches…
PF – Pour moi, la mise en couleurs est très importante et fait pleinement partie du récit. De plus Yan colorie très mal, il déborde beaucoup !…
Extrait de Allons Z'enfants T2 : Jean & Suzanne - de 1918 à 1945 |
Chaque tome de votre trilogie propose des pages didactiques en fin de volume. L’envie de partager encore plus et de raconter aux jeunes lecteurs des moments-clefs de l’histoire de France, et de l’Histoire moderne en général ?
YLG – Oui, là, c’est l’enseignant qui s’exprime. Je trouvais intéressant de donner la possibilité d’approfondir les faits, les acteurs, les notions abordés dans le corps du récit. Et puis, il s’agit aussi de donner le goût de l’histoire, de la connaissance du monde d’hier pour mieux comprendre celui d’aujourd’hui en montrant que même des pages supposées ronflantes car didactiques peuvent être lues avec plaisir. Le plaisir de la découverte, de la lecture pour éviter la formation de « gras dans le cerveau » dixit Jacques Brel.
PF – J’ai eu l’occasion d’illustrer des ouvrages scolaires et ça ne m’a pas posé de problème. Et chassez le professeur qu’est Yan, il revient au galop !
Allons Z'enfants T1 : François & Josette - de 1870 à 1918 |
Avez-vous d’autres projets éditoriaux à venir ? En commun, ou séparément ?...
YLG – Et oui ! Nous entamons une nouvelle série, toujours avec le même éditeur, toujours en BD jeunesse. Pierre vient d’ailleurs d’achever le storyboard du tome 1. Cette fois-ci, j’ai pleinement basculé dans le « côté obscur » de la fiction. Une héroïne haute en couleurs, des enquêtes, du mystère dans l’Ouest américain du début XXe siècle… Ça promet !
PF – Et le plus avec Yan, c’est qu’il y a toujours une base historique et géographique même dans ses histoires purement fictionnelles qui donne beaucoup de consistance à son récit et ça c’est extrêmement agréable… Mais chut, ne le lui dites pas.
Propos recueillis par Brieg Haslé-Le Gall le 10 novembre 2022
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable.
© Brieg Haslé-Le Gall / Auracan.com 2022
visuels © Fouillet - Le Gat / Sarbacane
photo des auteurs © Le Télégramme
Extrait de Allons Z'enfants T3 |