Entretien avec Pascal Rabaté
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"J’avais envie de parler de cet esprit de révolte..."
Un scénario à fleur de peau avec un récit linéaire allant crescendo d’une rencontre entre deux mondes qui n’ont pas de raison de se rencontrer. Pascal Rabaté a répondu à nos questions au sujet de son album Sous les galets, la plage...
Dès les premières pages, l’on comprend que la petite bourgeoisie va être raillée. Avez-vous des comptes à régler avec celle-ci ?
Oh, non je n’ai pas de comptes à régler mais le projet était de faire un film sur la fin d’une époque. Une époque qui n’a pas été digérée d’ailleurs. On a un problème de mémoire. Je crois que nous sommes le seul pays où nous avons appelé notre armée « la grande muette ». Donc, assez lamentable au niveau des cadres en 14-18 avec un Pétain qui a fait fusiller un soldat sur dix dans certains régiments. On finit par lui donner le pouvoir en 1940 et on voit à quoi cela a abuti. J’ai l’impression qu’il y a une espèce d’entretien de la mémoire où à l’école, on n’apprend pas qu’il y a une France de la défaite. On a tout mis sur le troufion en l’appelant l’armée "La Doumergue". En 1940, c’était d’une incurie complète des cadres de l’armée. Quand je parle des cadres, c’est les grands cadres, ceux qui sont restés à l’arrière en donnant des ordres. De Gaulle a réussi à négocier une entrée dans les villes en 1945 avec les forces alliées pour sauver un peu la face, avec des trucs qui sont ignorés d’ailleurs, tels que déshabiller les coloniaux pour donner leurs uniformes à des blancs qui étaient là juste pour de la figuration... J’avais envie de parler de cet esprit de révolte. Au moment où j’ai commencé à initier le projet, on allait avoir des élections où il se préparait un deuxième tour extrêmement chaud et pour moi, Vie de grains, c’était un peu moi où on allait au fond, sachant qu’on allait perdre ! On n’a pas perdu comme on pensait (rires), on a perdu différemment, c’était moins violent mais il y avait un peu de ça. Et sur ce projet-là (Sous les galets, la plage, ndr), j’avais envie d’en finir avec ces idées moisies de la sagesse que l’on a en vieillissant. Ça me gave, ce discours me gêne et je trouve que l’espoir est plus dans la jeune génération. Je ne supporte pas des gens comme BHL, quoiqu’il a toujours été comme ça, ou un Glucksmann qui a été dans l’insurrection et qui n’a gardé que le tutoiement et la volonté de prendre la parole à tout prix. Ce sont des gens dont la pensée a été javellisée avec le temps. Je ne vais pas régler mes comptes, mais je vais essayer de dire qu’en effet, l’avenir appartient aux jeunes qui vont le vivre - pas à ceux qui vont l’écrire pour les autres.
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Ça, c’est un peu le nœud du truc et puis après, j’étais en vacances hors saison, on a fait une pause en allant à Loctudy et lorsque je suis passé devant de belles maisons aux volets fermés, je me suis dit « c’est la saison pour cambrioler ! ». Je me suis donc endormi là-dessus et de là est née l’histoire.
Au début de l’interview, vous faites peut-être un lapsus révélateur en parlant de film alors que la question porte sur la bande dessinée Sous les galets, la plage... Avez-vous songé à faire un film de cet album ?
À vrai dire, non ! Je sortais d’un film, avec les complications qu’implique un tournage, surtout avec une économie réduite, et où l’on est obligé de tirer sur tout. Alors, c’est un plaisir mais à un moment donné, c’est fatigant et moi, j’ai besoin d’alterner un peu les plaisirs. Il y a des moments de repos où je conçois plus le livre comme quelque chose de plus intellectuel.
Malgré tout, c’est quelque chose que vous avez déjà fait, une bande dessinée et ensuite un film tiré du scénario ?
Oui, effectivement. Maintenant, si l’on me le propose, je ne cracherais pas dessus, mais pour moi, le livre se suffit à lui-même. Après, si plus et affinité, on essaiera de traiter du même sujet mais avec un peu plus d’émotions.
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Deux mondes qui se rencontrent, la petite délinquance et la bourgeoisie qui ne se côtoient pas, du moins en apparence car « chasser le naturel, il revient au galop ». N’est-ce pas ce que vous avez voulu notamment souligner dans cet album ?
C’est le nœud de toutes les dramaturgies, de faire rencontrer des mondes qui ne doivent pas se rencontrer. En l’occurrence, ce n’est pas tout à fait vrai, parce que l’on se retrouve avec quelqu’un qui a une éducation classique et qui s’en va faire des études... Et la gamine est également éduquée car l’autre lui a fait ses armes sur les arts, sur la manière d’apprécier les choses de valeurs. Ainsi que sur des philosophies qui sont plus les miennes que celles de l’autre milieu. À un moment, la « sans racine » allait peut-être donner l’envie à un « enraciné » qui traîne sa famille comme un boulet, de sortir de ce milieu. Et puis, c’est l’amour pour cette jeune fille qui l’initie à la chair. Et donc, c’était vraiment se faire rencontrer des choses et comment l’on pouvait tordre parce que, mine de rien, 1968 est né de ça ! Ça été les grands bourgeois qui étaient dans les facs qui ont foutu la merde... J’ai choisi pour Albert, il brise ses chaînes et il ne pourra pas retourner dans ce milieu.
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« La propriété, c’est le vol », une citation de Pierre-Joseph Proudhon, homme politique français considéré comme un précurseur de l’anarchisme, est rappelé en prologue de cet album. Pourquoi vous avez-vous tenu à mettre cette citation en avant ?
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Cette phrase de Proudhon concernait ces propriétaires, que l’on appellerait aujourd’hui des marchands de sommeil, qui exploitaient la misère humaine en louant des taudis à des prix exorbitants. Dans cette formulation, c’était Proudhon et après, en extrapolant, j’ai créé Marius, un personnage où l’inconnu au bataillon, c’est moi qui pour le jeu de mots disait, « la propriété, c’est le viol, la résidence secondaire, c’est du vol aggravé » ! Alors, il y a un personnage qui est en filigrane, c’est Marius Jacob qui est l’inspirateur d’Arsène Lupin et qui était un anarchiste qui avait une communauté, avec une vision de clan, car il ne faut pas oublier qu’il nourrissait bon nombre de personnes avec ses larcins.
Quel titre ! Est-ce un clin d’œil au slogan « Sous les pavés, la plage » écrit au moment de mai 1968, six ans après le moment auquel se déroule votre histoire ?
Oui, tout à fait !
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Vous n’avez pas connu cette période-là, eu égard à votre statut de bébé en 1962. Pouvez-vous nous dire si vous avez interrogé vos aînés pour réaliser cet album !
Je n’ai aucun souvenir de cette période-là, j’étais totalement extérieur à ça car je vivais en province. Ayant fait les Beaux-Arts quasiment dix ans après 1968, j’ai eu des professeurs tels que Sauvageot qui avaient été actifs pendant cette période et qui n’ont pas manqué d’en faire état. Mais pour tout vous dire, ils m’ont plutôt fait ch… car ils n’appliquaient déjà plus ce qu’ils avaient revendiqué. L’anarchisme, le gauchisme s’exprimaient dans le vote mais pas forcément dans la vie de tous les jours.
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Ils ont été chiants comme tout le monde : peu de cours magistraux avec eux mais il y avait des restes, de la bonne bourgeoisie de gauche. Je suis issu de la faucille et du goupillon, d’un côté avec un grand père communiste avec sa femme, bonne du curé et de l’autre côté, c’était la même chose sauf que le grand-père était anarchiste. Je suis donc un peu le fils de ce truc-là. J’avais quand même un respect pour ces gens qui avaient foutu la m…. D’où on avait sorti quelques idées mais après quand on voit après ce qu’ils sont devenus...
Dans l'album, les couleurs dominantes sont le marron et le violet. Est-ce pour souligner le côté mélancolique, nostalgique du récit ?
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Redonnons à César ce qui appartient à César ! Il y a quelques années, David Prudhomme était en train de faire Noir et vif et comme moi, on essaie, on essaie, de construire, de re-construire et il me montre chez Futuropolis les planches et la mise en couleurs qu’il est en train de faire que je trouve superbes et puis, il les sature et je lui dis, « mais c’est super, aussi » ! Et à la fin, il me dit « Et j’hésite avec ça » et il désature tout. À ce moment-là, on se retrouve avec des couleurs extrêmement pâles et je lui dis « Putain, mais c’est génial » ! « Mais oui, mais qu’est-ce que je choisis ? » Je l’ai laissé faire et il a finalement choisi des couleurs classiques. Et quand finalement, j’ai démarré ce bouquin, je me suis dit que j’allais essayer le désaturé. Le truc, c’est aussi le dessin qui induit ça enfin, c’est une perception que j’ai de la couleur. Il y a un grand maître qui m’a longtemps influencé, c’est Buzzelli, avec son dessin réaliste, très beau et… sale ! Il faisait des hachures, il avait un trait de pinceau qui finissait en pinceau sec et quand il passait en couleurs, c’était la catastrophe ! Il faut donc que la couleur apporte une impression, un sentiment : chaque intérieur a sa propre couleur. Quand on est chez Albert, tout est vert, dans les maisons visitées, tout est bleu et quand on cambriole, tout est rouge. Je me disais qu’il fallait que je me serve de ces tons-là pour changer d’endroit. Là-dessus, je ne voulais pas surligner les choses et c’est la raison pour laquelle j’ai utilisé, par exemple, des roses pâles. Chaque couleur devait donner une indication de lieu et allait participer à une sorte d’ambiance. Je pense que ça ne va pas plaire à tout le monde mais je n’avais pas envie de faire du beau, ces couleurs devaient donner une ambiance. Alors, il y a des gens qui me disent que j’ai épuré certains décors mais je n’ai pas l’impression. Je connais la vision globale malgré tout je suis un classique dans la narration, je reste un enfant d’Hergé, je l’assume !
Propos recueillis par Bernard Launois le 30 octobre 2021
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© Bernard Launois / Auracan.com
visuels © Rabaté / Rue de Sèvres