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Entretien avec Kid Toussaint

"Je n’ai jamais réfléchi à l’écriture d’un scénario en fonction de tel ou tel public..."

Absolument normal, Love love love, Animal Jack, Ennemis, Elles, Hella & les hellboyz, Télémaque, Magic 7... Autant de séries qui apparaissent ou se complètent de ces jours-ci en librairie. Côté scénario, toutes portent la signature de Kid Toussaint qui verra sa bibliographie s'enrichir d'une dizaine d'albums au cours de ce premier semestre 2021. L'auteur évoque avec nous cette copieuse  actualité.

Trois sorties chez Dupuis, en février, dont deux nouvelles séries, une nouveauté aussi au Lombard en mars et deux “tome 1" de plus chez Grand Angle et Drakoo...  Il est vraiment difficile de passer à côté de votre signature dans une librairie pour le moment...

Kid Toussaint : C’est vrai qu’on peut parler d’une grosse actualité et en fait  ça m'étonne moi-même un peu. En tout, sur le premier semestre 2021 , j’aurai une dizaine de sorties... Mais il faut y voir des hasards de planning entre différents éditeurs ainsi que le résultat du report de certains albums en période de confinement et de fermeture des librairies...

En même temps, certains de ces albums ne sont pas nouveaux pour moi, ils résultent parfois de projets entamés depuis quatre ou cinq ans, et ces différents facteurs se rejoignent en une espèce de convergence. Je pense qu’un échelonnement plus large sur l’année aurait peut-être été préférable, parce que je me fais presque concurrence à moi-même, mais je ne vais tout de même pas me plaindre de voir mes scénarios publiés.

Vos premières séries étaient davantage sombres, réalistes et orientées vers un public adulte. Aujourd’hui on vous retrouve essentiellement sous une étiquette tous publics. S’agit-il d’un choix personnel ou cette orientation s’est-elle précisée naturellement ?


Love, love, love

( © Garrido, Toussaint / Dupuis)

KT : Ce n’est pas du tout un choix conscient, et d’ailleurs je n’ai jamais réfléchi à l’écriture d’un scénario en fonction de tel ou tel public. D’ailleurs, si vous parcourez ma bibliographie, avec un peu de recul on constate que les sujets traités sont souvent assez proches, quel que soit le lectorat. La différence majeure -et je l’ai remarqué avec Magic 7, série dans laquelle j’ai pu exprimer beaucoup de choses- est que les lecteurs plus jeunes lisent “mieux”, plus attentivement, et que les messages que l’on a envie de faire passer atteignent  peut-être alors plus facilement leur cible. Il s’agit d’un public plus réceptif, qui souvent relit un album, y revient... Alors que généralement, pour les adultes, une fois l’album refermé ça s’arrête là...

Quand vous dites ne pas penser au public en écrivant une histoire, on peut tout de même imaginer que la série Animal Jack (Dupuis) constitue une exception ?


Animal Jack ( © Miss Prickly, Toussaint / Dupuis)

KT : D’une certaine manière, oui, parce qu’il s’agit d’une série réellement orientée vers les plus jeunes avec d’autres contraintes, comme un format plus petit, plus maniable et qui implique, dès le départ un découpage différent. De même, initialement, le héros devait avoir 12 ans et je l’ai rajeuni de quatre années. Animal Jack a 8 ans. Mais il y a aussi beaucoup de parents  qui lisent Animal Jack, la série possède une vraie touche “famille”, on s’en rend compte avec Miss Prickly (Isabelle Mandrou) lors des séances de dédicaces.

Le réveil des dodos est déjà le quatrième tome... Le rythme de parution est impressionnant...

KT : On en est à deux albums par an. D’une part Miss Prickly travaille rapidement, et de l’autre il existe une réelle demande des lecteurs de la série. Le tome 5 est déjà bien avancé dans sa réalisation et j’ai écrit le scénario du sixième album.

Vous évoquiez des sujets assez proches d’une série à l’autre, peut-on parler d’un message, d’une préoccupation que vous voulez exprimer ?

KT : je dirais qu’il s’agit de l’acceptation de la différence. Je suis toujours révolté quand on pointe du doigt une personne ou une communauté qui ne peut pas se défendre. Les héros de Magic 7 possèdent des pouvoirs qui les rendent différents. Dans Absolument normal (dessin Martusciello & Pizzeti / Dupuis), on inverse l’imagerie des X-Men : tous les personnages sont...spéciaux, sauf le héros. Love love love (dessin Andres Garrido / Dupuis) évoque le coup de foudre entre une humaine et un robot, une sorte de couple mixte qui va devoir résister à la haine... Même Animal Jack est un enfant différent, et le thème des animaux disparus que l’on aborde dans le nouvel album souligne encore cette dimension.


Absolument normal ( © Martusciello, Pizzetti, Toussaint / Dupuis)

Avec un titre comme Elles (dessin Aveline Stokart/Le Lombard), on pourrait s’attendre à une BD girly...


Elles ( © Stokart, Toussaint / Le Lombard)

KT : Même pas, je ne me suis pas fait un plan marketing en me demandant comment m’adresser aux adolescentes ! Non, on y parle de l’adolescence, dans un lycée, mais l’héroïne est très particulière, encore une fois on retrouve une approche de la différence. Il s’agit là aussi d’une série orientée jeunesse, avec une héroïne, mais c’est toujours un garçon qui écrit !

Par contre, Ennemis (Grand Angle) annonce la couleur...

KT : Je me fais plaisir avec un western qui se déroule pendant la guerre de sécession. Je suis arrivé trop tard chez Dupuis pour participer à l’hommage aux Tuniques bleues, mais cette période m’a toujours passionné. J’étais persuadé que Raoul Cauvin avait tout écrit sur ce thème et puis, non, j’ai pensé à un petit truc, et il y avait quelque chose à faire. C’est un super terrain de jeu, j’y reprends une recette assez classique, avec une équipe de bras cassés vouée à une mission quasi impossible, et le dessin de Tristan Josse est épatant, avec un sens incroyable de l’expression dans les visages...  Le tome 1 d’Ennemis sera suivi de très près par celui d’Hella & les Hellboyz, plutôt en fantastique horrifique chez Drakoo (dessin Luisa Russo). On retrouvera aussi Télémaque (dessin Kenny Ruiz/Dupuis) avec la fin d’un premier cycle d’aventures, avant de le laisser un peu en stand-by à la demande de Kenny.


Ennemis ( © Josse, Toussaint / Grand Angle)

Peu à peu approche aussi la conclusion de Magic 7, avec un dixième album... Qu’est-ce que ça représentera pour vous ?


Magic 7 ( © Ruiz, Toussaint / Dupuis)

KT : Jusqu’à maintenant, je pense que Magic 7 a été mon projet le plus ambitieux et sans doute celui dans lequel j’ai glissé le plus de choses personnelles. Magic 7 m’a permis de rentrer chez Dupuis et a été mon premier vrai succès public, avec de nombreuses rencontres avec des lecteurs venus pour Magic 7. La série se termine, mais c’est un aboutissement et une volonté de l’auteur, pas à cause d’une forme de lassitude ou suite à une décision de l’éditeur. Je suis certain que les personnages vont me manquer. Magic 7 aura compté dans ma vie et, je l’espère, dans celle des lecteurs de la série.

Nous avons balayé vos publications récentes ou toutes proches. Existe-t-il un genre que vous n’avez pas encore abordé et auquel vous aimeriez vous atteler ?

KT : J’ai déjà touché à pas mal de choses et chaque fois j’y ai trouvé un nnouveau terrain de jeu. Je ne sais pas, précisément...peut-être une sorte de conte tourné vers les adultes ? Mais c’est difficile de répondre là, comme ça à votre question. Je ne réfléchis pas trop à ça. En fait j’aime me faire surprendre...par moi-même !

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Pierre Burssens
09/03/2021