Entretien avec Sylvie Roge et Olivier Grenson
"Le résultat de l’alchimie de nos envies et de nos idées..."
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Une jeune femme, en apparence calme et sans histoire, vient d'être arrêtée pour meurtre. Pour son mari, c'est la stupéfaction. Par l'entremise de l'avocat choisi pour la défendre, elle livre peu à peu l'histoire de sa vie. C'est l'histoire de deux soeurs jumelles, d'un père absent et d'une mère abusive. C'est l'histoire d'un terrible secret de famille… Et celle d'une tragédie annoncée.
Alors que La fée assassine débute comme un polar, c’est progressivement vers un drame familial, aussi sombre qu’ émouvant, que nous entraîne la lecture de ce roman graphique scénarisé par Sylvie Roge et dessiné par Olivier Grenson (dessin). Deux signatures depuis longtemps unies dans la vie mais que l’on retrouve pour la première fois, ensemble, en couverture d’un album !
Sylvie, pour une “première” il s’agit d’une réussite. Comment est née La fée assassine ?
Sylvie Roge : J’ai travaillé pas mal d’année dans le domaine médical, mais voici assez longtemps que j’écris, pour le plaisir tout simplement. J’ai laissé l’idée de La fée assassine reposer un certain temps avant de montrer le texte à Olivier. Il m’a encouragé à en effectuer le découpage avant d’envisager de le présenter à un dessinateur ou à un éditeur. J’avoue que je me suis acharnée là-dessus. Ca m’a pris un certain temps. Nous sommes partis en vacances, Olivier a regardé le travail effectué et a commencé à dessiner quelques planches, puis n’a plus pu s’arrêter !
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Pensiez-vous dès le départ à la BD ? En lisant La fée assassine on se dit que ça aurait pu être un roman...
SR : Le texte de base était un synopsis. Je me rendais bien compte que je n’étais pas suffisamment préparée pour quelque chose de plus littéraire. Et puis je visualisais les personnages et l’action, je voyais les filles bouger... J’avais presque l’impression de voir défiler un film. L’album que nous avons pu réaliser avec Olivier constitue au bout du compte le résultat de l’alchimie de nos envies et de nos idées.
Vous en êtes donc arrivés à un roman...graphique !
SR : C’était, à mon sens, le meilleur choix pour qu’Olivier ne soit pas bridé dans son travail. De plus, par rapport au récit initial, il tenait à glisser quelques moments de respiration, d’apaisement qui rendent l’ensemble un peu moins sombre et permettent de prendre une certaine distance avec tout l’aspect psychologique, très dur, de l’histoire.
Olivier, dès les premières pages on mesure que vous amenez une fois encore de nouvelles choses dans votre dessin...
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Olivier Grenson : Je pense que le dessin doit, à chaque fois, être lié à ce que l’on veut raconter. Travailler sur un one-shot ou un roman graphique est évidemment plus propice à cette adaptation qu’une série au long cours. J’essaye d’évoluer dans ce sens depuis La femme accident. Pour mon dernier album publié, le XIII Mystery consacré à Judith Warner et scénarisé par Jean Van Hamme, je devais évidemment respecter les codes de la série initiale. Pour La fée assassine, j’ai privilégié le crayon avec l’envie de conserver quelque chose de davantage spontané dans le dessin, y compris, côté couleurs, pour le rendu des matières. Du côté des couleurs, Sylvie voyait un ensemble proche du monochrome, du sépia, et j’ai essayé de restituer les ambiances de l'histoire, dans un dessin finalement assez doux par rapport au propos. Et puis, plus généralement, j’aime me renouveler et peut-être aussi me trouver là où on ne m’attend pas.
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On découvre aussi des effets peu vus en BD, vous jouez sur les reflets dans les vitres, le sable mouillé, ce genre de choses...
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OG : Je voulais que le dessin et le récit soient véritablement en résonance. Les reflets, les jeux de miroirs sont très présents, symboliquement, dans l’histoire. Sylvie écrit ce que font et vivent ses personnages, et moi, à travers le dessin, j’essaye aussi d’amener une autre forme de narration. Parfois, par contre, certaines choses paraissent toutes simples dans un synopsis et ne sont pas évidentes du tout à traduire en dessin. Je m’en suis rendu compte avec le clignotement du sapin de Noël. Sylvie avait eu cette idée, mais il fallait arriver à la traduire graphiquement pour que le lecteur comprenne qu’il s’agit bien des guirlandes du sapin qui clignotent...
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La fée assassine comporte quelques scènes oniriques, et ce n’est pas la première fois que ce type de parenthèse apparaît dans vos albums. S’agit-il d’une envie d’imaginaire dans votre dessin ?
OG : Oui, je prends peaucoup de plaisir à les dessiner et à développer ce type de visuel. De plus l’onirisme permet l’allégorie, la métaphore, et un seul dessin peut véhiculer et traduire beaucoup d’émotions. Dans La fée assassine, le rapprochement avec les contes est important. Tout le monde se souvient des contes de Perrault, d’Andersen, souvent à travers leurs interprétations de Disney. L’onirisme est important dans cette histoire, puisque nous rapprochons le personnage de la mère de Fanny et Tania de celui de la méchante reine du Blanche-Neige de Disney.
Justement, Sylvie, certains disent que pour écrire une bonne histoire, il faut un “méchant” particulièrement solide...
SR : Je ne me suis pas posée cette question au départ. La relation que Cécilia entretient avec ses filles est complexe, sournoise.
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Je n’avais pas envie de dévoiler son caractère horrible dès le début. Elle reste humaine, avec ses fêlures, ses cicatrices et un parcours de maternité très particulier. Je voulais que le lecteur puisse le ressentir.Et puis son rôle de méchante va crescendo, des petits coups, des petites attaques répétées et de plus en plus violentes. Elle fait tout pour séparer ses filles et les dresser l’une contre l’autre, pour en faire des ennemies. Il ne s’agit pas de violence physique, mais moralement, elle les descend !
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Paulie et Louis font contrepoids dans l’autre plateau de la balance...
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SR : Ils se trouvent confrontés à un autre problème. Ils ont un désir d’enfant et ne peuvent pas en avoir. Ils reportent leur amour sur Fanny et Tania... Professionnellement, en plus de vingt ans de travail, j’ai rencontré tout un panel de femmes, avec leurs trajectoires, leurs situations particulières. Avec des grossesses formidables, mais d’autres non désirées... Tout cela fait partie de l’humanité et on ne peut y être insensible. Je les ai écoutées, ça m’a touché. Avant d’écrire La fée assassine, j’avais gardé en moi quelque chose de toutes ces histoires et de leur dimension humaine.
Vous êtes dessinateur et scénariste, vous êtes aussi mari et femme. Parveniez-vous à parler d’autre chose que de BD pendant la réalisation de La fée assassine ?
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SR : Oui, heureusement mais c’était difficile. On s’imposait des limites. On est partis en vacances et on s’était dit qu’on travaillait le matin, mais souvent, l’après-midi même en mangeant un bout à une terrasse, après quelques minutes l’un ou l’autre avait une idée, on en parlait et on revenait à la BD.Pour moi il s’agissait d’un premier scénario, donc je vivais ça dans une certaine effervescence, c’était très gai et ça a donné lieu à un partage entre nous que je n’aurais peut-être pas imaginé.
OG : Même quand Sylvie écrivait l’histoire, c’était nouveau pour nous et extrêmement enrichissant. On en venait, par exemple, à observer les gens pour rendre les personnages le plus crédibles possibles. Je me souviens d’avoir vu passer une maman et ses deux filles, et Sylvie m’avait demandé de dessiner les petites... J’ai toujours eu une collaboration suivie avec mes scénaristes, mais ici c’était forcément assez particulier, et le partage était parfois surprenant, mais riche et permanent !
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Propos recueillis par Pierre Burssens le 11 février 2021
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© Pierre Burssens / Auracan.com
Visuels © Grenson, Roge / Le Lombard
Photos © Jean-Jacques Procureur