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Entretien avec Luc Jacamon

"Malgré sa relative simplicité, il s’agit d’un personnage assez compliqué à dessiner. Le moindre écart se voit tout de suite..."

Lorsqu’il s’est fait cueillir par la DGSE en Patagonie, le Tueur n’a eu que deux options. Suivre le mouvement ou finir squelette nettoyé par les urubus, au fond de la pampa. Et se sauver la peau implique souvent des compromis. Une planque au Havre, une couverture de cadre dynamique, la vie de bureau dans toute sa splendeur… Mais les communautés urbaines françaises se révèlent finalement des terrains d’intervention tout aussi musclés que ceux qu’il a eu l’habitude de « nettoyer » quand il bossait à son compte... 

Il y a deux ans, alors que nous rencontrions Luc Jacamon à la Foire de Livre de Bruxelles, le dessinateur se consacrait à l'adaptation de La Religion, célèbre roman de Tim Willocks, sur un scénario de Benjamin Legrand. Rien n'était défini quant à un éventuel avenir pour Le Tueur. En janvier dernier, surprise : le personnage créé par Matz et Jacamon retrouvait le chemin des librairies sous le titre Le tueur Affaires d'Etat pour un nouvel album : Traitement négatif.   Nous avons retrouvé Luc Jacamon à la Foire du Livre de Bruxelles où il nous parle de ses retrouvailles avec ce personnage hors normes alors que ses auteurs ont choisi de lui faire reprendre du service.

Voici deux ans, au même endroit, vous nous disiez que le Tueur s’arrêtait ou se mettait en pause, et que rien n’était acté quant à une éventuelle relance de la série...

Luc Jacamon : Effectivement, on avait en tête une pause mais sa durée n’était pas déterminée. Nous sentions qu’il était temps d’arrêter sans vraiment savoir si Le tueur reviendrait. Matz avait entamé d’autres projets et pour ma part je travaillais sur l’adaptation du roman de Tim Willocks La religion scénarisée par Benjamin Legrand. Nous savions cependant que du côté de l’éditeur une relance de la série serait, le cas échéant, bien accueillie.

Affaires d’Etat représente-t-il une sorte de suite ou un réel nouveau départ ?

LJ : Pour le personnage, c’est un nouveau départ. Le contexte de ses aventures change assez radicalement et le côté solitaire, indépendant du Tueur doit être mis en veilleuse. Un gros changement pour ceux qui connaissent la série initiale. Quant à moi, après de nombreuses années à travailler sur palette graphique, j’ai repris papier, crayons, feutres et couleurs directes. Je vous avoue qu’au début j’ai un peu transpiré, mais j’ai adoré revenir à cette manière de faire. Plus en amont je passe par l’étape du storyboard, ce qui est également nouveau pour moi. Ca exige une certaine énergie mais c’est à la fois exaltant et intéressant, tout en permettant de prendre du recul sur ce que l’on fait et de s’ajuster précisément avec ce que le scénariste a envie de transmettre. On regagne le temps et l’énergie investis dans le storyboard en efficacité par après...

Aviez-vous envie de revenir au crayon et au papier depuis un certain temps ?

LJ : Oui, mais ce n’était pas envisageable sur La religion qui m’imposait d’autres contraintes. Mais quand on utilise depuis longtemps la même technique, ce que l’on gagne en maîtrise, on le perd en sensations. Celles-ci ont tendance à s’atténuer avec le temps. Revenir à quelque chose de traditionnel m’a permis de retrouver une certaine fraîcheur et m’a fait beaucoup, beaucoup de bien. De plus, il faut le reconnaître, ça vous permet de disposer de planches, d’originaux qui peuvent éventuellement être mis en vente. Et cet aspect-là ne peut plus être négligé aujourd’hui.

En lisant Traitement négatif on a la sensation que votre dessin est plus fouillé, qu’il va vers plus de réalisme... Doit-on y voir des traces de votre passage par la BD historique ?

LJ : C’est possible, mais ce n’est pas quelque chose de conscient, de maîtrisé... Par contre, le personnage du Tueur ne bouge pas. En 14 albums son dessin n’a pas vraiment changé, il s’est imposé de cette manière-là. On peut trouver qu’il est parfois en décalage avec le dessin d’autres personnages mais finalement ça correspond bien à son côté énigmatique. Ceci dit, malgré sa relative simplicité, il s’agit d’un personnage assez compliqué à dessiner. Le moindre écart se voit tout de suite.

Avec Matz vous nous aviez habitués à voyager dans des décors exotiques. Cette fois Le tueur retrouve la France, un autre changement..

LJ : Et Traitement négatif se déroule dans la région où j’habite et que je connais bien. Quand Matz a évoqué les grandes lignes du récit, j’ai immédiatement pensé au Havre et à ses environs. Cette côte, ces falaises étaient propices à cette mise en images, et correspondaient bien au contexte. Et l’éditeur a apprécié cet ancrage géographique.

Une localisation qui entraîne aussi le choix d’une palette de couleurs très différente...

LJ : Et un défi supplémentaire quand on revient aux couleurs directes ! D’une part on travaille vraiment sans filet, mais d’autre part on doit pouvoir apprendre à accepter ses erreurs, qui sont parfois salutaires. Heureusement, l’étape du scan permet de corriger les choses les plus gênantes si besoin... Mais encore une fois, j’ai eu beaucoup de plaisir à revenir à cela.

Envisagez-vous Le tueur Affaires d’Etat comme une longue série ?

LJ : L’avenir le dira, mais Traitement négatif constitue le premier volet d’un cycle de trois albums, avec, à l’horizon, un deuxième cycle de trois albums aussi dans la foulée. Le rythme de parution devrait être d’un album par an au minimum. Traitement négatif est sorti en janvier et le prochain épisode est programmé pour octobre, c’est donc assez serré... (*)

Qu’en est-il de La religion, série qui était prévue en 4 tomes ?

LJ : Rien n’a été décidé de ce côté. Assumer 80 pages par album, dessin et couleurs, est très lourd pour moi. Revenir au Tueur représente un changement d’univers radical mais je reviens en terrain connu pour des albums à la pagination classique. La balle est dans le camp de l’éditeur.

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Pierre Burssens
01/04/2020