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Entretien avec Ricard Efa

"Mes choix graphiques constituent ma voix par rapport à une histoire..."

Django Reinhardt est une légende. Mais Django, celui qui réveille est aussi né deux fois. Une première fois dans la neige, durant l'hiver 1910 dans une famille de nomades stationnée à Liberchies, en Belgique. La seconde à Saint-Ouen, près de Paris, à l'automne 1928, quand l'incendie de sa caravane lui mutila la main gauche.

Ricard Efa (dessin) et Salva Rubio (scénario) s'attachent à nous raconter ce destin exceptionnel dans leur très beau Django main de feu (Aire Libre / Dupuis), salué par le petit-fils de Django, David Reinhardt, et bénéficiant d'une préface passionnée de Thomas Dutronc. Depuis sa participation au projet Alter Ego et a son studio virtuel, Ricard Efa surprend à pratiquement chaque album. Rencontre avec cet artiste sensible sur un air de jazz manouche...

On a fait votre connaissance avec Alter Ego (Dupuis) avant de vous retrouver sur des one-shots centrés sur un seul personnage, et dans le cas de Monet le nomade de la lumière et de Django main de feu, des personnages réels. Etait-ce une volonté de votre part ou s’agit-il d’opportunités qui se sont présentées à vous ?

Ricard Efa : Un peu des deux. Alter Ego représentait avec son son studio virtuel une aventure très particulière, mais très intéressante, et puis, comme vous l’avez dit, ça m’a permis de me faire connaître. Mais après cela, j’avais envie de trouver le moyen de m’exprimer différemment, et en abordant la couleur directe. J’ai ainsi réalisé Le soldat (Le Lombard) sur un scénario d'Olivier Jouvray, qui m’a conduit vers autre chose. Actuellement je travaille sur un album consacré à Degas, destiné à paraître au Lombard, et j’ai l’impression qu’il vient clôturer une sorte de cycle dans lequel s’inscrivent Monet le nomade de la lumière et Django main de feu... Ensuite je passerai à nouveau à quelque chose de très différent, avec un projet de série que je réaliserai en solo, scénario, dessin et couleurs.

La rencontre avec le scénariste Salva Rubio a-t-elle été déterminante ?

RE : Elle a été déterminante pour les livres que nous avons signé ensemble, et pour celui à venir, tout comme celle avec Olivier Jouvray pour Le soldat. J’ai besoin de travailler dans une relation de confiance avec le scénariste, j’ai besoin de discuter avec, d’entretenir des contacts réguliers au cours de l’évolution du récit. Nous sommes deux acteurs de sa création, et parfois ça me rappelle même certains jeux d’enfants où on jouait à plusieurs à inventer un univers. Ca ne m’intéresse pas vraiment qu’on me propose un scénario fini, j’aime participer à sa construction. Avec le scénariste, nous échangeons nos idées, nos points de vue, et chacun le fait avec sa propre expérience. C’est constructif et si nous aboutissons à un résultat qui nous satisfait autant l’un que l’autre, il ne peut logiquement être que meilleur.

Qu’est-ce qui vous a particulièrement attiré dans le personnage de Django Reinhardt ?

RE : Des éléments qui se situent au-delà de son aspect public... Ses relations avec sa mère, son frère, tout ce pan-là de son histoire qui constitue une grande part de l’album. Et puis, plus globalement, en traitant de personnages comme Django Reinhardt ou Monet, on apprend quand même pas mal de choses du monde d’où on vient. Ces deux personnalités font partie de la Culture européenne.

Vous intéressiez-vous à lui avant de travailler sur ce projet ?

RE : Pas particulièrement, non, pas plus que la grande majorité d’entre nous. Et quand Salva Rubio m’a parlé de cette histoire, il ne m’a pas dit, au départ, de qui il s’agissait.

 

Le côté chaleureux, tribal de l’univers gitan m’a tout de suite séduit, et rétrospectivement je trouve que le titre Django main de feu est vraiment évocateur. Le feu a brûlé la main du guitariste mais a contribué à la construction de son jeu, le feu était aussi l’énergie qui l’animait, et puis le feu est toujours au centre de la communauté gitane, en partage. J’ai d’ailleurs essayé de le représenter dans chaque case où figure le campement. Il est parfois éteint, parfois il s’agit de bûches et d’une hache, mais j’ai toujours essayé que ce symbole soit présent.

Abordez-vous un biopic différemment d’une fiction ?

RE : Pas complètement. Salva Rubio est aussi historien, mais je dirais que l’on tourne autour du personnage et de son univers pour en apprendre quelque chose. Avant tout, on raconte une histoire avec un début, des personnages, des scènes, une fin... Nous disposons de repères historiques, le récit se déroule à un moment et dans un endroit particulier. Mais nous ne cherchons pas à réaliser une biographie académique, au contraire. Regardez les images de Paris dans Django : je n’ai pas cherché à représenter un Paris historique, mais plutôt quelque chose de nostalgique, d’idéalisé, ce qui ne l’empêche pas de toucher l’imagination du lecteur, ni d’être reconnaissable...

Justement, pour Monet votre dessin évoquait ses oeuvres, son style, et pour Django, qu’est-ce qui vous a guidé ?

RE : Il y a une forme de romantisation davantage présente dans Django main de feu. L’histoire comporte tout un éventail d’émotions et il me semblait plus aisé de les traduire par un dessin un peu plus caricatural que par un trait complètement réaliste. C’est aussi pour cela qu’on trouve des animaux parmi les personnages. La famille, la communauté, les musiciens...le récit compte de nombreux intervenants et j’ai essayé par le dessin, l’encrage et les couleurs de transmettre un rythme, une...musique, quelque chose de festif dans lequel ils évoluent. On dit parfois qu’un écrivain est la voix d’un récit. Mes choix graphiques constituent aussi ma voix par rapport à une histoire, et j’aime expérimenter des choses différentes, me remettre en question. Quand je lis une histoire, elle m’évoque des images, et à partir de là j’essaye de déterminer ce qui conviendrait le mieux, artistiquement et techniquement, pour les concrétiser.

En lisant Django main de feu, on en arrive à se dire que la réalité dépasse la fiction. Avez-vous également eu ce sentiment en y travaillant ?

RE : Oui, et on touche presque à un territoire de légendes, là. Il existe plusieurs histoires au sujet de l’enfance de Django, mais elles viennent toute de l’oral... Quelle est la réalité ? Quelle est la légende ? Et puis, quelqu’un issu d’un tel milieu, qui va créer un nouveau genre musical, devenir l’un des plus grands musiciens de son époque et qui est toujours connu aujourd’hui... Au départ tout était contre Django, et il a transcendé touts ces éléments... Heureusement aussi qu’il est apparu à une époque où il était possible d’enregistrer la musique ! Autrement, qu’en serait-il resté ? Et on peut même imaginer que d’autres musiciens, nés plus tôt, sont peut-être tout simplement restés dans l’anonymat ou tombés dans l’oubli faute d’enregistrements...  L’Histoire est parfois capricieuse !

 

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Pierre Burssens
25/03/2020