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Entretien avec Stephen Desberg et Hugues Labiano

“Nous avions envie de raconter une grande aventure dans laquelle le voyage est quelque chose qui se vit”

Le début 2020 a été bien rempli pour le prolifique scénariste Stephen Desberg. Parmi les albums portant sa signature, le premier tome du Lion de Judah (Dargaud) représente une nouvelle collaboration avec Hugues Labiano au dessin. Après les grands espaces du préquel au western L’étoile du désert, le duo nous emmène dans les grands espaces africains, terre fertile en aventures où l’on retrouve un étonnant personnage central. L’album est sans nul doute une bonne surprise de ce premier trimestre et donne immanquablement envie de connaître la suite de ce qui s’annonce comme une trilogie. Stephen Desberg et Hugues Labiano ont répondu à nos questions à la Foire du Livre de Bruxelles.

Stephen, il y a longtemps que vous ne nous aviez plus proposé une histoire se déroulant en Afrique, le scénario du Lion de Judah répond-t-il à une envie particulière ?

Stephen Desberg : C’est vrai, et pourtant il s’agit d’un continent que je connais bien avec une affection particulière pour la Tanzanie, le Kenya. Il s’agit d’une région à la fois romantique mais aussi très dure, très différente, par exemple, de l’Afrique de l’Ouest... Et c’est une région dont l’histoire est intéressante. L’Ethiopie, de son côté, possède une histoire beaucoup plus ancienne, comme un carrefour des religions, avec notamment les Falachas...

Le lion de Judah établit une sorte de lien entre ces deux aspects. Entretemps, peut-être ai-je laissé l’Afrique un peu de côté, déçu aussi par l’évolution de certains pays... Mais pour ce projet, avec Hugues nous avions envie de raconter une grande aventure dans laquelle le voyage est quelque chose qui se vit et entraîne, peut-être, une autre manière de voir le monde.

Hugues Labiano : Et l’idée d’y mettre en scène un personnage pour lequel, au départ, tout semblait tracé mais qui a opéré d’autres choix dans sa vie était également intéressante.

Ce tome 1 présente tous les ingrédients d’une grande aventure classique, mais vous l’abordez de manière très actuelle...

SD : Je pense qu’en BD les limites du classicisme franco-belge ont été atteintes et qu’il est nécessaire, tant dans le scénario que le dessin, d’aborder les choses de manière plus contemporaine, avec, notamment, des séquences plus...contemplatives. Le dessin de Hugues le permet, en jouant sur les grands espaces, on peut y prendre du recul. C’est quelque chose de moderne, et si nous avions pu, je pense que nous aurions consacré davantage de pages à de grandes images.


Hugues Labiano et Stephen Desberg

Vous avez signé ensemble Black Op ainsi que le prequel à l’Etoile du désert et aujourd’hui ce premier tome du Lion de Judah. Votre manière de travailler a-t-elle évolué à travers ces différentes collaborations ?

HL : On se comprend rapidement. On saisit assez facilement les intentions, les objectifs l’un de l’autre, de manière assez naturelle. Dans un premier temps je n’interviens pas sur l’écriture. Stephen me communique un script complet et quand j’entame le travail sur la première planche, je sais où je vais. Si en cours de route il me semble que quelque chose ne va pas, je le signale et on en discute. On retravaille ça et on continue. Il arrive aussi que j’aménage certains dialogues ou quelques détails de narration graphique. En fait, quand on démarre un projet, on en discute surtout beaucoup avant. Et je montre les planches finies à Stephen. J’ai besoin de travailler “ma” planche, à ma manière, mais j’ai confiance dans le scénario comme Stephen a confiance en mon dessin.

Un thriller, un western, une grande aventure...vos trois collaborations correspondent à trois genres différents...

HL : Et c’est très important ! On m’a longtemps qualifié de dessinateur des USA, parce que, sans doute, j’étais peut-être plus sensible à cette Culture, mais j’ai toujours été ouvert à d’autres choses. Et finalement, quand je me tourne vers ma bibliographie, elle ne me paraît pas particulièrement américaine.

Vous citez Hugo Pratt parmi vos influences... Les éthiopiques ?

HL : Eh bien non, je n’ai pas ouvert Les éthiopiques en travaillant sur Le lion de Judah, mais j’ai sans doute toujours Pratt quelque part en tête. Par contre j’ai relu Henri de Monfreid, Burton et Speke qui ont découvert les sources du Nil...  En général je lis beaucoup de choses qui peuvent m’inspirer et me maintenir dans le sujet de l’album sur lequel je travaille. Mais je me nourris peu de visuel, plutôt de mots. Depuis mes débuts je me considère comme un auteur de BD, pas seulement comme un dessinateur, et pour moi la place du texte est aussi centrale que celle du dessin. Mais j’ai une passion pour le trait, qui est mon langage personnel privilégié. Mais de toutes façons, je lis beaucoup, pas en intellectuel  et j'aime ça

Dans ce tome 1, le personnage de Naïsha intrigue particulièrement. Sa recherche de Wallace pourrait même avoir une dimension fantastique... S’agit-il d’une piste pour la suite ?

SD : Non, pas tant que ça. Je pense que, comme Wallace, Naïsha agit essentiellement en fonction de ses aspirations personnelles. Vous parlez de fantastique mais il existe toujours des croyances en la sorcellerie en Afrique. La religion n’a pas tout éradiqué et encore aujourd’hui certaines petites idées reviennent facilement à la surface. La relation entre Wallace et Naïsha occupe une position centrale dans le récit, comme vous le découvrirez et tous deux, finalement, se battent contre une forme de modernité. Ils sont chacun prisonniers de leur époque et tentent de s’y ménager un espace de liberté.

Les couleurs de Jérôme Maffre restituent la lumière mais aussi la chaleur des territoires que vous faites parcourir au lecteur...

HL : On a l’habitude de travailler ensemble, mais cette fois on a la chance que Jérôme connaisse très bien l’Afrique de l’Ouest. Pour les couleurs, il s’est inspiré de ses voyages, de ses souvenirs, de ses photos et ce qu’il en a transcrit dans l’album constitue son ressenti, ses impressions.

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Pierre Burssens
18/03/2020