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Entretien avec Miguelanxo Prado

Comment cette histoire vous est-elle venue ? On peut y voirun rapport évident  avec la manière dont les humains martyrisent la terre...

Oui il y avait deux questions, deux points que j’essayai de combiner. D'une part, nous avons un gros problème avec le rapport avec la terre c’est même un processus d’autodestruction. Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une sensibilité écologique pour comprendre, simplement l’intention de survivre, de permettre à nos enfants et à nos petits-enfants de continuer...

Et de l’autre, l’idée que ce n’est jamais notre faute, ce n’est jamais soi, mais plutôt les autres. Il y a aussi une question de responsabilité, de culpabilité... Mais ne pas parler de culpabilité relève de la psychologie moderne. Or je pense que ce sentiment de culpabilité peut être un levier pour vraiment essayer de changer les choses. Cette histoire a été construite à partir de ces deux idées.

Le scénario transmet une angoisse qui va crescendo au fur et à mesure que l’on avance dans l’album. Pouvez-vous nous parler de cette technique narrative ?

Il s'agit d' une structure de thriller assez classique.  Dans mes autres histoires, j’avais tenté de donner  priorité aux sentiments. Mais dans ce cas, je voulais aborder une narration plus typée thriller, aventure. L'ensemble représentera une histoire en trois albums, qui pourront être lus indépendamment mais avec un fil conducteur, malgré une différence temporelle énorme.

Il y aura trois pactes, entre le monde de la magie et le monde des humains. Dans le Triskel volé  il s'agit des pactes de la léthargie, et pour permettre la liaison entre les trois histoires et avoir la possibilité de développer les personnages, j’avais besoin d’une structure qui monte progressivement en puissance pour le lecteur afin de clôturer la trilogie en apothéose. Le deuxième livre racontera chronologiquement comment nous sommes arrivés à ce point. Et le troisième constituera la conclusion....

Je suppose que le côté Triskell et Celtiques vous a été inspiré par votre région d’origine, la Galice (Espagne). Pouvez-vous nous en dire plus ?

La culture celtique est pour moi à la base de la culture européenne. Nous connaissons beaucoup de choses à son sujet grâce, notamment, à de nombreux vestiges, dont des dolmens. Mais comme il s'agit d'une culture qui était essentiellement orale, il reste le problème de l’interprétation....  Certains éléments sont arrivés jusqu'à nous au travers de la tradition. Nous connaissons les druides et ce rapport religieux lié tout particulièrement avec la nature ; l’idée étant de déifier la nature, je trouvais que ça convenait parfaitement pour mon histoire.

Votre album se termine sur  une note plutôt optimiste avec l’espoir que les humains vont se réveiller à temps pour sauver la terre... Etes-vous, personnellement; aussi optimiste ?

Je crois que je suis très réaliste ! Au moment d’analyser, je préfère continuer vivant plutôt que me suicider. Je ne suis pas pessimiste, j’ai toujours l’espoir d’arriver à une petite solution. Mais en même temps il faut quand même prendre en compte le problème. Fermer les yeux comme le font certains hommes politiques est absurde et cette négation est un vrai suicide.

Quelques personnages de cet album s’apparentent à des « magiques », êtres surnaturels. On le découvre à travers leurs transformations particulièrement réussies. Comment avez-vous abordé graphiquement ces métamorphoses ?

Mon rapport avec le dessin, avec la peinture est bien plus naturel que l’on peut penser et ce n’est pas une question intellectuelle. J’ai commencé à dessiner en ayant l’intention de trouver le personnage humain et c’est tout naturellement qu’en déformant ses traits il s’est métamorphosé en démon. En fait, je ne suis pas capable de rester à faire la même chose longtemps et de la même manière.

Est-ce ce qui vous a amené à renouveler votre style pour cet album ?

Généralement,  les éditeurs n’aiment pas que l’on change de style. Quand j’ai commencé à créer l’histoire, j’ai compris immédiatement que je ne pourrais pas l'aborder graphiquement de la même manière qu’Ardalen ou que Proies faciles. J’avais besoin de définir une autre manière de raconter.

Le titre Le pacte de la léthargie, en espagnol est devenu Le triskel volé en France, pourquoi ce changement ?

Le monde de l’édition a beaucoup changé. Aujourd'hui il est nécessaire de se poser beaucoup de questions concernant le marketing. Je ne connais pas vraiment bien le français et je ne sais pas si un titre est plus marquant plus qu’un autre. Le titre en portugais c’est le même, le titre en espagnol c’est aussi le même le titre en galicien également. Pour l'édition en français, toute l’équipe de Casterman a dit non le titre n’est pas assez parlant,  le mot léthargie évoquant quelque chose de très passif... Je comprends que l’éditeur soit décisionnaire sur le choix de l’album, que l'on en discute et que l’on décide ensemble plutôt que de le découvrir en recevant l’album commece fut le cas pour Venin de femmes qui était tangent. Album Michel en avait changé le titre sans me consulter ni m'en avertir. Ici, j’ai été consulté et le Triskell volé faisait partie des options que j’avais proposées.

Depuis quelques albums, vous dénoncez les dérives que peuvent engendrer le pouvoir et l’argent. Est-ce selon pvous la gangrène de notre monde moderne et ce qui risque de nous mener à notre perte ?

Nous avons un problème, et ça c’est déjà une réflexion, politique, historique, le XXe siècle apparaissait idyllique...après avoir combattu le féodalisme ! Nous avons réussi, après la révolution française, la révolution rouge à instituer que l’État moderne prenne la responsabilité de la protection du citoyen et nous avons perdu la bataille parce que le pouvoir est devenu celui de l’économie et de la spéculation. Aujourd’hui, nous avons un pouvoir sans contrôle : nous pouvons changer de gouvernement mais nous ne pouvons rien faire pour contrôler les milliardaires et par rapport à cela, je ne suis pas optimiste...

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Bernard Launois
17/02/2020