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Entretien avec Riff Reb's

Je me suis dit : je casse la figure à ce truc qui me suit, qui finit par me peser !

Après une belle trilogie maritime, l'auteur complet Riff Reb's s'attaque avec talent à l'adaptation d'un chef-d’œuvre de Jack London. Le vagabond des étoiles s'impose à la fois comme un procès contre l'univers carcéral et un hommage à la puissance de l'imaginaire. Le rencontrer à l'occasion de la sortie du premier volet de ce diptyque était l'occasion de découvrir les arcanes cette belle adaptation.

Cet album semble constituer une rupture avec ce que vous faites habituellement…

Riff Reb's : A la fois une rupture et une continuité. Il s’agit d’une adaptation littéraire et pour moi c’était l’essentiel. Sur les 3 albums précédents, c’était du maritime mais je n’y vois pas le côté maritime, j’y vois un autre aspect. En fait, je n’ai pas choisi la mer comme sujet, j’ai choisi un roman de Marc Orlan qui parlait de la mer et je me suis retrouvé en mer, je savais très bien que c’était une histoire de pirates… Mais seulement, je percevais tellement que la situation d’un marin, à cette époque-là, équivalait à celle d’un pauvre gars paumé dans ses tranchées avec la mauvaise nourriture, la mort qui peut arriver du dessus, du dessous ou même d' un copain qui, comme sur le bateau, vient vous trucider, la mauvaise bouffe, le manque de femmes, de sa mère ou de sa fille… Et c’est cette forme-là qui me plait, la poésie de Marc Orlan. Cette littérature-là se passe en mer mais elle pourrait se dérouler au fond d’une tranchée, ou près d’un feu, peu importe ! Ce qu’il dit de l’homme n’a pas de contexte, c’est de l’humanité. En gros pour résumer un peu pour les gens, le personnage principal enfermé, à cause des supplices, pour des raisons qu’il faudra lire, s’abstrait de son corps et devient pur esprit sans trop savoir ce qui se passe...

Votre choix d’adapter librement  Le vagabond des étoiles de Jack London, n’a-t-il pas été guidé par votre peur d’être classé  peintre de la marine  ?

Il y a de ça ! En vérité, je voulais faire un western mais je n’ai pas eu les droits. Il s’agissait des Frères Sisters. Un certain Jacques Audiard les a eu après qu’on me les ait refusé. Mais je voulais sortir de ces grands espaces maritimes pour de grands espaces terrestres.  Le vagabond des étoiles, j’ai envie de l’adapter depuis que je l’ai lu. Cela fait trente ans que cette histoire me poursuit, m’habite. Au moment où j’ai fait Le loup des mers , je voulais me consacrer au Vagabond des étoiles mais par rapport à la complexité du récit et de ce que je vivais personnellement à cette époque, c’était très difficile. Je n’arrivais pas à me concentrer sur ce récit-là. Quand je travaille sur un auteur, j’enquête : qu’a-t-il écrit d’autre ? ; quelles sont ses influences ? Et j’ai repris Le vagabond des étoiles, sur lequel j’avais mis des couches, tous les dix ans ou presque… Là je me suis dit : je vais essayer de l’adapter, vraiment, pousser plus loin mon travail pour pouvoir le faire lire. Je me suis dit : je casse la figure à ce truc qui me suit, qui finit par me peser,  je m’en débarrasse. Soit, j’y arrive, dans le sens où l’on m’encourage à le faire en me disant que l’adaptation est bonne. Et dans ce cas là, j’en serai débarrassé ou alors on me dit non, ce n’est pas bon et là, j’oublie, c’est fini, je range ça sur mes étagères !

Il aurait sûrement été difficile de l’oublier…

Oui, mais bon, je me serais fait une raison…officielle. J’ai entrepris l’adaptation en deux volumes avec le story-board assez poussé, tous les textes, et j’ai donc pu le faire lire à ma compagne Edith, auteure, et à ma directrice d’édition, en leur disant lisez, et dites-moi si ça le fait ou pas !

C’est que l’on attend d’un éditeur…

J’ai eu une jolie exposition à Strasbulles fin mai et j’ai eu le bonheur de la faire la visiter à Jean-Claude Mézières, auteur de Valérian. Il est sans pitié, mais je le considère comme un maître. Je le lisais quand j’avais 8 ans, dans Pilote. Il m’a dit : Riff, si tu veux des compliments, demande à ta grand-mère, moi, je vais te dire que là ton dessin ça ne va pas, très bien !  Et ne te vexe pas, très bien, je suis comme toi, je suis honnête. Des gens me trouvent dur mais on ne peut pas progresser dans les compliments, on ne progresse que dans la difficulté.

Comment avez-vous abordé l’adaptation du Vagabond des étoiles ? Etait-ce différent des précédentes ?

Le vagabond des étoiles est une histoire à tiroirs ! On n’en aura que des extraits, mais ça nécessite beaucoup de documentation : quand un gamin est embarqué par les vikings, c’est dans un décor de vikings, quand ce gamin s’échappe il se fait embaucher chez les romains, il finit officier de la cavalerie auxiliaire avec Pilate, au moment de la crucifixion de Jésus…  Il fallait que je dessine tout ça… De plus, comme le héros est enfermé, il fallait que je trouve le moyen de transposer graphiquement ses élucubrations. Il est ingénieur agronome, il essaie de construire la machine idéale pour pomper l’eau, il cogite ça et il faut pouvoir le représenter. Il se rappelle sa jeunesse, son crime, il communique avec d’autres prisonniers dans une sorte de morse... Comment puis-je représenter ça sans que ce soit comique ? D’autre part c’est l’histoire d’un homme en camisole de force en cellule d’isolement, on ne peut pas faire moins dynamique et je suis un dessinateur d’énergie et de dynamisme !  Je me suis donc trouvé aux antipodes de ma zone de confort ! D’où, aussi, l’enjeu de la narration vis-à-vis du lecteur, pour le tenir, le secouer, lui donner un rythme à suivre,  le reposer, l’énerver…

Est-ce aussi cela qui explique les changements de couleurs en fonction des périodes ?

J’ai abordé ce système dans ma trilogie maritime, pour le Marc Orlan dont j’ai parlé au début… La rupture de couleurs permet de se retrouver ailleurs, dans un autre temps. Je considère le code couleurs comme un soutien absolu à ma narration.

Comment travaillez-vous avec votre éditrice ? Intervient-elle dans le processus de création et si oui, à quel stade ?

J’ai la meilleure éditrice du monde ! Je ne connais pas toutes les éditrices du monde mais en tout cas, je n’ai jamais eu dans ma vie une si bonne expérience de travail qu’avec Clotilde Vu. Elle me lit, nous communique son retour,  et pas forcément celui que j’ espère. Comme auteur, on est suivi, on sait qu’on existe et qu’on n’est pas juste là pour se faire payer. De plus elle a une très forte éducation visuelle, un œil sûr pour la maquette, le choix des typos, des couleurs… Elle a de la culture et c’est très agréable d’échanger à  un certain niveau de qualité. On est défendu auprès du patron, ce qui est extrêmement rare dans la profession…

Le retour de la presse est particulièrement positif sur cet album…

Pourtant, paradoxalement, je crois que je n’ai jamais été aussi frileux que pour la sortie de ce livre, aussi mal à l’aise pendant la fabrication,  aussi peu sûr de moi car il a vraiment entraîné beaucoup de questionnements et de choix à effectuer.

                                                    Propos recueillis par Bernard Launois le 25 octobre 2019

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Bernard Launois
12/11/2019