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Entretien avec Sylvain Savoia

"Je ne sais pas s’il s’agit d’une performance, mais ça me demande un gros effort d’organisation..."

Un petit format sympathique (13 x 17 cm), une trentaine de pages de BD, 10 pages de dossier pédagogique clôturées par un fil chronologique, telles sont, côté forme, les caractéristiques des albums de la collection Le fil de l'Histoire raconté par Ariane et Nino. Dupuis dévoilait cette série didactique en février 2018, et un an plus tard, douze tomes scénarisés par Fabrice Erre et dessinés par Sylvain Savoia sont disponibles, avec autant de thématiques différentes ! Nous avons rencontré Sylvain Savoia qui nous parle de cette approche bien particulière de la BD, alors que par ailleurs son remarquable album consacré aux Esclaves oubliés de Tromelin vient d'être réédité à l’occasion d’une exposition accessible jusqu'au 3 juin au Musée de l’Homme à Paris…

Les Samouraïs, la voie du Bushido constitue déjà le douzième titre de la collection Le fil de l’histoire raconté par Ariane et Nino. Le tome 1 est paru voici un peu moins d’un an…  Comment a été élaboré un projet d’une telle envergure ?

Sylvain Savoia : Frédéric Niffle en a eu l’idée en 2008 et j’ai effectué un premier essai à cette époque, quelques dessins seulement, deux ou trois pages, je crois. Mais c’était assez différent de ce que nous proposons aujourd’hui. L’aspect didactique était déjà présent, mais associé à davantage de fiction. Ca n’a pas été beaucoup plus loin à ce moment. Et puis, voici deux ans, Frédéric est revenu vers moi avec Lewis Trondheim et quelque chose de beaucoup plus structuré. Fabrice Erre a rapidement rejoint l’équipe et Le fil de l’Histoire a été mis sur les rails grâce, je tiens à le souligner, à une alchimie incroyable entre nous. Il n’y a pas seulement Fabrice et moi, mais il s’agit vraiment d’une équipe de quatre personnes, avec Lewis et Frédéric.

Fabrice Erre (scén.) nous avait parlé du travail de synthèse que représente chaque album, en est-il de même pour le dessin ?

Il est clair que l’on ne peut pas s’encombrer d’une foule de détails. Il s’agit de livres de petit format et je dispose d’une trentaine de planches de BD. Le dessin doit être accessible à tous les publics et d’une lisibilité maximale. En ce sens, il a un côté davantage cartoon que réaliste. Mais d’autre part, le caractère historique et didactique de la collection exige de la précision dans la représentation de tous les faits et éléments authentiques évoqués. Le dessin doit aussi raconter. Il s’agissait donc d’un équilibre à trouver…et surtout à conserver sur la durée. Mais d’une certaine manière, je m’étais déjà plié à un exercice assez comparable pour Marzi. Fabrice Erre, lui, doit conjuguer la véracité historique la plus juste possible avec une écriture drôle et légère.

Votre scénariste est Docteur en Histoire et prof d’Histoire/géo, êtes-vous, au départ, un passionné d’Histoire ?


Extrait de "Les Samouraïs"

Il faudrait définir ce que l’on entend par passionné… Pour ma part, oui, j’ai toujours aimé l’Histoire, j’ai lu beaucoup de choses à ce sujet, mais pas uniquement documentaires. J’ai aussi lu beaucoup de romans de Jules Verne, de récits de voyages, d’explorations maritimes.

Et finalement, quand j’ai démarré Marzi sur un scénario de Marzena Sowa, en m’intéressant à l’histoire contemporaine, j’ai l’impression que tout ça a vraiment pris un sens, avec la motivation, l’envie de réellement transmettre quelque chose aux lecteurs.

La collection a été lancée ici, à la Foire du Livre de Bruxelles voici un an. Vous en êtes au douzième album, peut-on parler de performance ?


Extrait de "La guerre des tranchées"

C’était surtout un sacré défi ! Nous voulions asseoir la série et que l’ effet collection joue en sa faveur. Nous pouvions difficilement publier les albums en laissant entre eux un délai plus long. Vous savez, comme moi, que de très nombreuses BD paraissent chaque année, et comme en plus Le fil de l’Histoire raconté par Ariane et Nino est édité en petit format, quelques titres seulement n’auraient pas trouvé leur place en librairie ou auraient été noyés dans la masse. Onze titres sont sortis en 2018, et la collection dispose aujourd’hui d’un présentoir qui lui est spécifiquement destiné. Je pense qu’elle gagne peu à peu sa place.


Extrait de "La grande muraille

de Chine"

L’album consacré aux Samouraïs est le premier tome à paraitre en 2019, avec un rythme de sortie un peu plus doux, puisqu’il devrait dorénavant être de six titres par an. Concrètement, chaque tome compte une quarantaine de pages et représente pour moi –le calcul n’est pas difficile- plus ou moins un mois de travail. Je ne sais pas s’il s’agit d’une performance, mais il est certain que ça me demande un gros effort d’organisation, d’autant plus qu’en parallèle j’ai entamé l’adaptation du roman Petit pays de Gaël Faye, dans un style beaucoup plus réaliste pour la collection Aire libre. L’album devrait compter 120 pages. Le matin, je me consacre au Fil de l’Histoire, et l’après-midi à cet autre projet.

Vous avez évoqué l’équilibre à trouver dans le dessin du Fil de l’Histoire, qu’en est-il de la documentation ?

Nous abordons des sujets très variés, et la documentation dont on dispose l’est tout autant, à la fois en quantité et en qualité. La pyramide de Khéops pouvait sembler un sujet aisé de ce côté, or pas du tout. Il existe beaucoup de documentation sur les pyramides en général, sur l’antiquité égyptienne, mais il est très difficile de trouver quelque chose de précis au sujet de cette pyramide en particulier. Nous avons beaucoup cherché, Fabrice et moi, et finalement on s’est rendu compte que beaucoup de choses ont été interprétées ou imaginées par les peintres orientalistes. Et ces images-là se sont gravées dans l’imaginaire collectif. Mais il ne s’agit pas de la réalité historique !


Extrait de "Louis XIV, le Roi-Soleil"

Par ailleurs, votre album Les esclaves oubliés de Tromelin, initialement publié en 2015 dans la collection Aire libre connaît une nouvelle édition enrichie réalisée avec le Muséum national d'Histoire naturelle et se voit mis à l’honneur à l’occasion d’une exposition au Musée de l’Homme à Paris…

C’est un plaisir de voir cet album poursuivre sa vie de cette manière. Et pourtant, ce n’était pas gagné d’avance. L’histoire qu’il retrace est compliquée, pas du tout joyeuse. Sa forme peut déstabiliser avec deux traitements graphiques différents, l’un pour l’histoire des esclaves et l’autre pour l’expédition archéologique à laquelle j’ai eu la chance de participer… et pourtant ce livre continue à bien fonctionner. J’en suis encore plus heureux parce qu’il a vraiment été réalisé dans une belle synergie avec les archéologues de l’équipe de Max Guérout et suivant leurs découvertes.

Vous avez contribué à faire découvrir le destin étonnant de ces esclaves à un large public, et, comme vous nous le montrez, il s’agissait pour vous d’une véritable aventure…

Absolument, sans imaginer le moins du monde la manière dont j’allais y participer. Au départ, j’avais lu un article dans Le Monde qui retraçait ce naufrage et le destin incroyable de ces naufragés, à partir de la première mission archéologique sur l’épave et sur l’île. Cette histoire me plaisait et brasse finalement de nombreux thèmes, comme l’esclavage dans l’Océan indien, assez peu connu, la survie…  J’ai trouvé ça passionnant et je me suis rendu compte que cette lecture m’avait vraiment marqué. Le soir-même je prenais contact par mail avec les archéologues pour avoir accès aux résultats de leurs recherches et, dès le lendemain, je recevais une réponse enthousiaste de leur part. Nous avons sympathisé et, peu de temps après, ils me proposaient de les accompagner pour une nouvelle expédition ! Pour moi c’était une chance exceptionnelle, et totalement inespérée ! 

Le prix décerné par l’Académie de Marine en 2016 a attiré l’attention d’un public plus large que celui des bédéphiles sur l’album et aujourd’hui, l’exposition qui se déroule au Musée de l’Homme donne à nouveau un formidable coup

de projecteur sur cette histoire qui croise des thématiques qui, d’une manière ou d’une autre, sont toujours d’actualité.

Sans Les esclaves oubliés de Tromelin, vous seriez-vous lancé dans Le fil de l’Histoire raconté par Ariane et Nino ?

Je pense que oui. Mais je crois que quand Frédéric Niffle est revenu vers moi avec ce projet, c’était plutôt parce qu’il aimait mon dessin pour Marzi, simple et accessible alors qu’il est mis au service d’un récit réaliste.

Peut-être que Tromelin m’a apporté une justification supplémentaire, ou davantage de légitimité…  Cette expérience m’a, en tous cas, indiqué une direction de travail forte.

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Pierre Burssens
13/03/2019