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Entretien avec Anthony Pastor

"Là, c’est ce que j’ai vraiment envie de faire et je suis ravi !"

Le Vukland s'enfonce dans une crise sans précédent. Les tensions intercommunautaires s'exacerbent autour du projet de barrage sur les terres sacrées du peuple Kivik.L'élection contestée du nouveau président n'arrange rien. La population de la capitale occupe la rue, la jeunesse en première ligne...

Après l’impressionnant Sentier des reines et sa suite, la Vallée du diable, Anthony Pastor nous revient dans un projet totalement différent, totalement en prise sur notre époque et nombre de ses problématiques. No War offre un contraste saisissant, tant graphique que narratif, destiné à se développer en une série au long cours. Le tome 1 de cet ambitieux projet vient de paraître, le deuxième est prévu pour l’automne et le troisième album paraîtra au printemps 2020. Chacun comportera une centaine de planches. Un défi exigeant mais exaltant dont nous parle Anthony Pastor.

A tous points de vues, No War offre un contraste saisissant avec vos précédents albums, Le sentier des reines et La vallée du diable, qu’est-ce qui vous a amené à un tel changement ?

Mes albums qui précédaient Le sentier des reines étaient davantage tournés vers le polar et se déroulaient dans le monde contemporain. En ce sens, Le sentier des reines et sa suite constituaient une sorte de parenthèse, mais qui m’a permis d’aborder autre chose et d’évoluer. Aujourd’hui je reviens sur un terrain qui m’est davantage familier, mais je pense que je le fais mieux. Et puis, l’idée qui sous-tend No War est celle d’une série au long cours, mettant en scène toute une gamme de personnages.

Cette idée était déjà présente avant Le sentier des reines, et de manière relativement précise, mais je pense que ce n’était pas le bon moment pour moi, tout simplement. No War me permet de revenir à un récit plus contemporain, plus en phase avec ce que j’aime vraiment faire. Graphiquement, d’une part j’essaye de mettre mon dessin au service de l’histoire, mais d’autre part je dois me plier aux contraintes du format choisi et du rythme de publication des albums, 2 tomes par an. Des contraintes délibérément choisies et acceptées, je le précise, mais qui m’amènent forcément à des choix graphiques inhérant à ces enjeux.

Que vous ont apporté vos 2 précédents albums pour vous permettre de mieux aborder un tel projet ?

Pas mal de choses, notamment au niveau du travail documentaire. Le sentier des reines et La vallée du diable avaient un caractère historique, qui exigeait beaucoup de documentation. No War est contemporain, se déroule dans un pays imaginaire, le Vukland, mais je me suis beaucoup documenté sur l’Islande, notamment, sur les cultures traditionnelles de certains peuples aussi, afin d’alimenter mon sujet et que tout ça soit crédible et réaliste. De plus, même inconsciemment, on retire toujours quelque chose de ses expériences...

A la lecture du tome 1, on pense à certains polars ou thrillers mettant en scène, justement, des minorités, mais aussi à la construction de séries télé, avec de nombreux personnages et arcs narratifs...

L’idée de No War, de la série dans sa globalité, vient de là, j’aime le polar, le thriller, le roman noir, mais je voulais aussi expérimenter cette manière de raconter, avec de nombreux personnages, leurs points de vue et même, plus largement, de nombreux groupes sociaux. C’est vraiment ce qui m’intéresse dans ce projet, et qui impose aussi ce rythme de parution. Le tome 1 vient de sortir, le 2 est terminé, le troisième album est crayonné et je continue à écrire.

Dans le dossier de presse, on découvre un projet portant sur trois albums, mais susceptible de s’étendre...

J’ai une vision générale de No War, assez construite, qui porte sur plus ou moins 9 albums, avec un point d’arrivée qui n’est pas totalement ouvert, et comme je vous le disais, je continue à écrire. Cependant, je sais que même si je dispose de ligne directrices assez précises, certaines choses surviendront, et influenceront probablement le récit...  Cela s’est déjà produit entre les tomes 2 et 3. J’ai déplacé certaines scènes, revu des aspects de la construction pour conserver un bon rythme, la manière dont le lecteur découvrira certaines informations etc. Dans cette optique, il m’aurait été impossible d’aborder chaque album séparément. Voilà pourquoi j’ai démarré directement sur 3 tomes...et plus si le public s’y retrouve !

Un projet de 9 albums, c’est plutôt rare dans le paysage BD actuel, et ambitieux...

J’ai la chance d’avoir la confiance d’un éditeur qui a envie d’accompagner ce type de projets, une série mais aussi un travail d’auteur avec une forme d’écriture personnelle. Mais c’est vrai que c’est assez exceptionnel alors qu’hormis des séries tous publics traditionnelles on voit paraître beaucoup de one-shots ou de diptyques. Le défi est aussi de sortir du lot. Ca peut paraître ambitieux, mais même si c’est compliqué d’en vivre, je n’ai absolument pas envie de basculer sur des projets alimentaires. Je ne réaliserai probablement pas 50 BD dans ma vie, j’ai déjà abordé pas mal de choses différentes, et là c’est ce que j’ai vraiment envie de faire et je suis ravi ! J’espère le vivre bien et proposer quelque chose de fort dense et abouti.

Vous mettez en scène de nombreux personnages, mais en refermant le tome 1, on mesure que, peut-être à l’exception de Run, personne n’est tout blanc ni tout noir, et que chacun s’adapte aux circonstances...

Avec No War, j’essaye de refléter la complexité de notre monde, et cela passe par des personnages complexes. Je pense que c’est plus intéressant pour le lecteur de les découvrir progressivement, et de ne pas pouvoir complètement prévoir la manière dont untel ou untel va agir en fonction d’un rôle qui serait très ou trop défini. Je veux éviter les stéréotypes, même si pour le coup on a un personnage en chaise roulante qui peut faire penser aux X-men mais c’est le seul... Ce type de projet peut s’apparenter à certains mangas ou comics, mais souvent ceux-ci sont confiés à une équipe. Pour No War je suis seul à la barre !

Vous citez les mangas et comics. Le format de l’album y fait aussi penser. Vous sentez-vous plus proche d’eux avec No War que de la BD franco-belge ?

Disons que j’aimerais rivaliser avec certains d’entre eux avec ce récit au long cours, qui est aussi un vaste roman graphique ancré dans la BD franco-belge, et avec de beaux gros albums !

On retrouve dans le tome 1 un récit court sur l’origine des pierres sacrées Kafikadiks précédemment publié dans la revue Pandora...

Je travaillais déjà sur No War quand mon éditeur me l’a demandé, me proposant d’aborder la cosmogonie du peuple Kivik, peuple autochtone du Vukland. D’une certaine manière, ça m’a amené à creuser, à approfondir cet aspect, et puis à revenir à l’histoire principale en considérant cette mythologie de manière différente.

Dans Le sentier des reines vous abordiez déjà certaines problématiques propres à l’époque, comme la condition féminine, le droit à l’éducation des femmes etc. Dans No War, il y a l’écologie, les jeux politiques, les accointances douteuses de certains de leurs acteurs...  Vous considérez-vous comme un auteur “engagé” ?J

Oui, et je pense utiliser la fiction, justement, pour parler de cet engagement. La fiction peut être un outil pour porter des idées, et poser des questions. Je me sens forcément concerné par beaucoup de choses qui se déroulent autour de nous, la BD permet de mettre ça en avant, de s’interroger et peut-être d’amener les lecteurs à s’interroger sur certains faits.

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Pierre Burssens
15/01/2019