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Entretien avec Thomas Liera et Didier Ocula

"Notre personnage central,  présent dans tous ces épisodes, reste le vélo !"

AvecLa bataille des nuages (Dupuis), Thomas Liera et Didier Ocula signent la dernière étape de leur triptyque consacré au Tour de France. Une conclusion en apothéose puisque les étapes de montagne sont les plus impressionnantes et les plus éprouvantes de la Grande Boucle et participent à la légende des grands champions cyclistes. De l’introduction de ces étapes sur le parcours à des épisodes plus récents, ce troisième album place le lecteur dans la roue des coureurs. Alors que le Tour de France 2018 prend son départ le 7 juillet, la BD nous rappelle qu’au-delà des performances sportives, il s’agit aussi d’une aventure humaine et que certaines pages de son histoire sont presque devenues des pages d’Histoire. Thomas Liera (dessin) et Didier Ocula (scénario) nous en parlent.

Comment en vient-on à réaliser la BD officielle du Tour de France ?

Didier Ocula : Le premier tome a été publié chez un autre éditeur. Celui-ci avait acquis la licence et a, d’une certaine manière, joué les entremetteurs entre Thomas Liera et moi. On ne se connaissait pas, je n’avais jamais réalisé de scénario de BD, et après une longue conversation, on avait l’impression de se connaître depuis 15 ans. Deux ou trois jours après notre première rencontre, je fournissais le scénario des premières planches à Thomas et l’aventure débutait…  Dupuis a ensuite repris la licence et publié les deuxième et troisième albums.

Aviez-vous prévu, dès le départ, une série en 3 tomes ?


Thomas Liera et Didier Ocula

DO : Oui, avec une thématique spécifique pour chaque album. Le tome 1 est consacré aux petites histoires du Tour, le deuxième aux petits et grands champions, et le tout récent La bataille des nuages s’intéresse spécifiquement aux étapes de montagne, là où se révèlent réellement les grands champions. Sans doute est-ce là le côté le plus spectaculaire de l’épreuve, où se met en scène la lutte de l’homme contre la montagne. Et on imagine aisément que sur le palmarès d’un coureur, une victoire d’étape en montagne représente tout de même autre chose que le bouquet d’un contre la montre ou d’une étape de plaine.

Une série BD n’avait-elle pas déjà été consacrée à la Grande Boucle ?

DO : Effectivement, oui, mais son approche était clairement humoristique. Pour notre part, nous voulions vraiment privilégier une approche historique et être le plus fidèles possible à la réalité. Dès que ce choix fut posé, la précision dans la reconstitution devint un devoir. Les rares incursions dans l’imaginaire concernent certaines scènes pour lesquelles il n’existe pas de trace historique ou de témoins. Dans le nouvel album, on évoque la superstition d’Anquetil, chose connue, mais nous ne disposons pas d’images de sa rencontre avec un mage, donc nous avons un peu extrapolé pour cette scène… De même nous avons « fusionné » symboliquement la victoire d’Eddy Merckx en 1969 et le premier pas de l’homme sur la lune.

On imagine que, l’un comme l’autre, vous vous êtes basés sur une solide documentation…

Thomas Liera : C’était indispensable, en effet. Tout le monde ou presque peut citer tel ou tel exploit réalisé au Tour de France, mais en voulant aller plus loin et ne pas se cantonner à ces « gros titres », la documentation était essentielle. Graphiquement, je devais tenir compte de l’évolution des vélos depuis 1903, et, évidemment des tenues des coureurs ! Quand on ne dispose que de documents en noir et blanc, comment être certain des couleurs des maillots ? Il faut lire, creuser et, parfois, au détour d’une ligne ou d’une colonne de texte, trouver une description ou un témoignage. Mais ces efforts ne sont pas vains, puisque jusqu’à maintenant, tant du côté du grand public que des professionnels ou des spécialistes du cyclisme, nous n’avons pas eu la moindre remarque quant à la fidélité de notre reconstitution.

DO : Nous nous sommes plongés dans des milliers de pages de documentation, de textes et d’images, qui nous fournissaient aussi un foisonnement de petites histoires, d’anecdotes…  Nous avons dû aussi opérer une sélection parmi tout ça. Trois albums, c’est à la fois beaucoup et peu. Et par rapport à ce que nous voulions raconter, le passage au format BD exigeait parfois un numéro de contorsionniste pour faire rentrer les cases dans les planches et le texte dans les cases pour que l’ensemble reste lisible et agréable !

Thomas, certains de vos confrères, et non des moindres, ont dit craindre de dessiner deux choses : les chevaux et les vélos. Vous avez dû aller bien au-delà…

TL : Complètement ! Mais je reconnais que oui, c’est très difficile d’être juste dans ces représentations, et au début ça frisait même le cauchemar. Ensuite, vu le sujet, j’ai été amené à en dessiner tellement que j’ai trouvé les « trucs » pour que ça fonctionne et je ne me suis plus vraiment posé de question ! Je pense d’ailleurs que si nos albums évoquent le Tour et ses acteurs, notre personnage central, à travers ce que nous racontons, présent dans tous ces épisodes, reste le vélo !

Mais ce vélo est exclusivement entouré de personnages réels. Comment avez-vous géré cet aspect ?

TL : De ce côté aussi, la documentation est évidemment extrêmement utile. Mais je n’y ai pas vu une difficulté particulière, puisque la plupart des chapitres sont courts. Il est plus compliqué de « tenir » un personnage authentique sur une dizaine de planches ou plus…  Mais l’exercice est intéressant. Jusqu’où peut-on aller dans les expressions, dans la caricature ? Ces questions deviennent fondamentales dans ce type de réalisation, tout en gardant en tête, encore une fois, la priorité accordée à la fidélité historique.

En lisant vos albums, on mesure que l’aventure humaine l’emporte finalement sur l’aventure sportive…

DO : Les deux sont évidemment liées, mais, particulièrement dans La bataille des nuages, on se rend compte que les coureurs sont poussés tellement loin dans leurs capacités physiques et morales…  Ce ne sont pas des machines ! Ils restent des êtres humains, et si on retient les exploits, combien de moments de détresse à côté ou avant ceux-ci ?  Mais je pense que c’est aussi, quelque part, ce qui rend les coureurs cyclistes attachants. J’aime beaucoup une citation du Vicomte Jean de Gribaldy : "On joue au tennis, on joue au football ou au hockey…mais on ne joue pas au cyclisme. Le cyclisme n’est pas un jeu… »

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Pierre Burssens
20/06/2018