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Entretien avec Bérengère Marquebreucq

"Cette activité n’est pas encore totalement reconnue et reste sous-estimée !"

XIII, XIII Mystery, IR$, Le Janitor… autant de séries aux auteurs différents mais avec pour point commun le (trop) discret poste de coloriste occupé par la talentueuse Bérengère Marquebreucq. Les  sorties rapprochées  de Jonathan Fly, 11e tome de la saga XIII Mystery  (Dargaud) et du 18e épisode d’IR$ (Le Lombard) constituaient pour nous une belle occasion d’interviewer Bérengère Marquebreucq et d’évoquer avec elle un métier encore souvent sous-estimé et méconnu. Un entretien en couleurs et en lumières…

Comment êtes-vous devenue coloriste ?

Bérengère Marquebreucq : J’ai suivi des études en illustration à St Luc avant de travailler dans le domaine de l’animation, sur les décors, notamment, ce qui m’a permis de peaufiner ce que j’avais appris. J’ai toujours travaillé dans un domaine créatif, qu’il s’agisse de publicité,  d’animation. J’ai travaillé sur différentes séries animées avant que le studio pour lequel je bossais ferme ses portes. J’ai débuté en tant que coloriste sur Imago Mundi, et son spin-off Climax (Dargaud), avec, entre-temps, l’un ou l’autre retour à l’animation. Je ne sais pas s’il s’agit d’un parcours-type, mais je pense qu’il doit ressembler à celui de pas mal de coloristes. Il n’existe pas de formation officielle à ce métier et on y vient souvent par une voie relativement détournée…

On a l’impression que le travail des coloristes n’a été reconnu que relativement récemment. Vos noms apparaissent, parfois même en couverture au côté de celui des auteurs. Pour le récent Jonathan Fly  (XIII Mystery – Dargaud), on vous a beaucoup vue en compagnie d’Olivier Taduc et Luc Brunschwig…

Je pense qu’au départ c’était souvent les épouses des dessinateurs qui géraient ça, et leur travail était englobé avec celui de leur mari. C’est encore parfois le cas aujourd’hui. Il existe également des auteurs qui réalisent leurs couleurs. Quelques coloristes sont parvenus à se faire un nom et ont attiré l’attention sur cette profession, mais malgré tout cette activité n’est pas encore totalement reconnue et reste sous-estimée. Nous devons beaucoup nous battre face à cela…

Comment se crée l’association entre l’auteur et le coloriste ?

C’est assez variable, mais généralement ça passe par l’éditeur, qui nous met en contact. Mais de nombreux auteurs s’adressent aujourd’hui directement au coloriste. Dans mon cas, je dirais que c’est moitié-moitié.

XIII Mystery constitue un best-seller. Travailler sur une telle série implique-t-il chez vous une approche particulière ?

Pas d’un point de vue purement artistique, mais plutôt au niveau du timing que je dois pouvoir gérer. En effet, chaque épisode est attendu de longue date ce qui entraîne, notamment, pas mal de promotion et de prépublications bien avant la sortie de l’album.  Nous devons composer avec ce planning, les auteurs et moi. A part cela, chaque album de la série représente quelque chose de différent, comme les auteurs changent à chaque fois. L’idée de l’éditeur est cependant de conserver une forme d’homogénéité à l’ensemble et mes couleurs y participent. Je suis rentrée dans cette aventure avec l’album Little Jones signé Yann et Henninot, et pour moi c’est particulièrement gai et enrichissant. Chaque auteur a son approche. On en discute en amont et il me donne des indications assez générales : scènes de jour ou de nuit, météo, ambiance générale…  Pour le reste, on laisse ma créativité s’exprimer. Quant à moi, j’essaye de  servir au mieux le récit, en mettant en avant par mes couleurs les éléments les plus importants de l’image.

Une qualité indispensable à un(e) coloriste ?

Essentielle, à mon sens…  Nous devons être à l’écoute du récit, capter ce qui est important, l’assimiler et le renvoyer avec notre sensibilité. Je pense qu’il s’agit de la condition première à une collaboration efficace avec le dessinateur, sans oublier que celle-ci passe par une relation de confiance…  Quand les auteurs imaginent leur histoire, ils ne la voient pas en noir et blanc. Et pour chaque série, pour chaque épisode, c’est différent.  J’essaye notamment de prendre en compte les caractéristiques du graphisme, la quantité de noir présente, l’intensité du tracé, des éléments qui, pour moi, peuvent entraîner le choix de couleurs plus ou moins appuyées, des variations. Tout cela me permet de me renouveler, de cultiver une forme de créativité qui concourt au plaisir de ce travail, à l’enrichissement qu’il m’apporte.  A côté de cela, je ne compte pas mes heures de boulot, et si je ne suis pas convaincue d’un choix ou si des retouches sont nécessaires, je recommence et voilà…

Vous avez aussi réalisé les couleurs de Kate’s Hell, tome 18 d’IR$ de Vrancken et Desberg  (Le Lombard), il s’agit aussi d’un thriller réaliste, contemporain, li aussi publié récemment.. A votre niveau, qu’est-ce qui différencie cet album de Jonathan Fly ?

Il s’agit d’un travail très différent, car Bernard Vrancken voulait des choses très précises pour la lumière, l’ambiance…  On en a pas mal discuté et j’ai suivi au mieux ses indications pour retrouver la lumière et le soleil de Californie qui baignent tout l’album. Moins de créativité pour moi, mais mon métier implique aussi de respecter les choix et indications des dessinateurs !

En parcourant votre page Facebook, on retrouve régulièrement l’une ou l’autre case de La Fée Sanctus, épisode de la Complainte des Landes perdues (Delaby – Dufaux / Dargaud). Quels souvenirs en avez-vous gardé ?

Parmi les dessinateurs avec lesquels j’ai travaillé, Philippe Delaby est celui avec lequel j’ai eu le plus de contacts et avec qui j’ai passé le plus de temps, notamment grâce à notre proximité géographique. Au départ, il n’était pas enthousiaste du tout quant à des couleurs réalisées par informatique. Nous nous sommes rencontrés régulièrement et il m’a proposé un travail particulier sur les ombrages. J’ai eu beaucoup de plaisir à le côtoyer, à le voir travailler dans son atelier. C’était quelqu’un de généreux, charmant, et sa disparition reste un traumatisme. C’est pourquoi j’ai toujours beaucoup de plaisir à partager des images de la Fée Sanctus.

Votre bibliographie ne compte que des albums de style réaliste, et une grande majorité d’histoires contemporaines. S’agit-il d’un choix ?

Pas du tout. Plutôt d’un concours de circonstances. On m’a toujours contactée pour cela, même si ça ne me dérangerait absolument pas de travailler sur quelque chose de différent. A mon grand regret, il m’est arrivé de me retirer de certains projets qui ne m’emballaient pas, mais j’ai également eu de belles surprises, comme La Guerre des Amants (Manini – O. Mangin / Glénat), mais je n’ai aucune envie d’établir une sorte de classement de mes collaborations. J’aime beaucoup la BD à ancrage historique, qui nécessite une forme d’interprétation mais aussi, s’il s’agit d’uniformes, une documentation solide.  J’aime restituer la lumière naturelle, extérieure, bien davantage qu’une atmosphère d’immeuble de bureaux,  et être attentive à éviter certains clichés, quasi ancrés dans notre inconscient. Comme me l’a dit Marvano : "même en temps de guerre il peut faire très beau" alors qu’en général on associe la grisaille, la pluie à la guerre. Et travailler sur ces contrastes peut être très intéressant !

Vous avez suivi des études d’illustration, vous êtes coloriste…  N’avez-vous jamais eu envie de repasser de l’autre côté de la barrière et…de dessiner ?

J’ai exploré pas mal de choses suite à ma formation, dans l’animation, la pub, le graphisme. Je consacre beaucoup de temps à mon travail, qui me passionne, même s’il n’est pas toujours simple d’en vivre. On doit bosser ! Mais j’aime toujours prendre un crayon et dessiner un peu. Et il m’arrive même encore, de temps en temps, de prendre un crayon, un carnet, et de partir me promener et m’installer dans un parc ou dans ce genre de lieu et d’y réaliser quelques croquis…

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Pierre Burssens
11/07/2017