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Entretien avec Laurent Astier et Jean-Claude Pautot

                                                           Une histoire d'amitié

Condamné pour des faits de grand banditisme, Jean-Claude Pautot a raconté son histoire…mouvementée, la prison, les braquages, les planques et les cavales à Laurent Astier. De cette rencontre sont nés une solide amitié entre les deux hommes et un album impressionnant : Face au Mur (Casterman). Rencontrer ses auteurs en interview constituait un moment exceptionnel. Parce qu’il s’agit de deux formidables conteurs, que l’histoire du projet est belle et qu’ils vous offrent le tout avec énormément d’humour. Un très bon moment partagé pour Auracan.com avec Laurent Astier et Jean-Claude Pautot !

Dans le dossier de présentation de l’album, on trouve quelques cases qui racontent votre rencontre, pouvez-vous nous en parler ?

Laurent Astier : En fait, elles proviennent d’un blog (faceaumur.blogspot.be) dans lequel j’ai expliqué, progressivement, la genèse de l’album. Je venais, par l’entremise d’un ami, d’accepter d’animer un atelier BD à la Maison Centrale de Saint Maur. On était en janvier 2012 et je devais venir les vendredis pendant un mois et demi. Lors de la première séance, il y avait 9 inscrits mais…une seule personne présente dans l’atelier : Jean-Claude. Il venait de réaliser son premier tableau figuratif et m’a demandé mon avis. J’avoue que j’étais assez intimidé dans un premier temps. Puis on s’est mis à parler peinture, à discuter de différents trucs pendant…près de 4 heures !

Jean-Claude Pautot : J’étais là pour « tester » Laurent, en quelque sorte. En prison, la confiance est essentielle. Il existe des règles qui doivent être respectées. On ne savait pas qui était le bonhomme, quelle serait son attitude, sa motivation et son objectif en animant cet atelier. Il fallait que l’on puisse mesurer ça et c’est moi qui m’y suis collé. On a passé un moment sympa, j’ai rencontré quelqu’un de clean, et à l’atelier suivant tous les inscrits étaient présents. Il faut aussi comprendre que s’inscrire à un atelier de ce type et y participer constituait pratiquement pour nous le seul acte volontaire que l’on pouvait réaliser. C’était donc super important que ça se passe bien, dans un climat de confiance et pas de suspicion. De ce côté on avait déjà donné !


Laurent Astier et Jean-Claude Pautot

Jean-Claude, comment étiez-vous venu à la peinture ?

J-C P : En 1992 j’ai perdu mon père, un ami proche a été tué en Corse, d’autres dans une tentative d’évasion. Pendant un an je n’ai plus parlé à personne. La peinture, j’ai découvert ça vraiment par hasard, et heureusement parce que j’étais vraiment très mal. A partir de là, je me suis vraiment engagé à fond dedans, et ça m’a reconstruit. A ce sujet, j’aimerais vous citer 2 chiffres. Une journée dans un établissement pénitentiaire coûte à l’Etat 80 €. Une journée dans un établissement psychiatrique, elle, coûte à l’Etat 800 €. Quoi que j’aie fait, je ne me suis jamais déshumanisé. Mais à un moment j’ai côtoyé des gens qui l’étaient complètement. Pendant une période, un ami m’accompagnait à l’atelier de peinture, car je m’étais rendu compte qu’un petit jeune m’y suivait toujours…  Et le gars, la police avait retrouvé des têtes exposées dans son studio ! S’il m’était tombé dessus, on se serait protégés ! Il y en avait un autre, aussi, qui avait fracassé le crâne de quelqu’un à coups de cendrier…avant de lui manger une partie du cerveau. Avec des bonshommes pareils, on a beau être solide, endurci…mais à tout moment tout peut basculer. C’était de la folie ! Mais moi je n’ai jamais perdu mon humanité ! Mon engagement dans la peinture a également été remarqué et apprécié par les autorités, et de ce côté ça m’a aussi aidé. Avant Face au Mur, toujours emprisonné, je parvenais, grâce à des amis, à organiser des expositions de mes œuvres. Je prenais tout en charge, affiches, petits fours…

Laurent, vous vous étiez pourtant promis, dès le départ, de ne pas exploiter en BD ce qui vous serait raconté…

L A : Oui, mais je ne savais pas que j’allais rencontrer Jean-Claude (rires) ! Ca s’est fait presque à mon insu. On s’est mis à discuter et il a commencé à me raconter plein de trucs, de manière complètement naturelle. Et peu à peu, c’est une amitié qui s’est construite à travers ce dialogue.

J-C P : Le développement de Face au Mur, c’est une histoire d’amitié. Ca aurait été inimaginable si je n’avais pas rencontré Laurent. Je savais qu’avec lui je pouvais être ouvert, et aujourd’hui j’en suis fier !

L A : Pour moi, ce n’était pas une période facile, j’avais pas mal de projets mais qui n’aboutissaient pas, et j’étais dans une phase où, au pire, je coûtais aux éditeurs plutôt que leur rapporter. J’avais dans mes cartons un truc qui aurait pu, de loin, ressembler à Face au Mur, et là, peu à peu, se précisait un moyen de le faire émerger, très différemment et de manière beaucoup plus authentique !

Comment avez-vous vécu ce passage de votre récit au média BD, Jean-Claude ?

J-C P : Avec un peu d’appréhension, d’abord, et puis de la curiosité…  Mais quand Laurent m’a présenté les premières planches d’essai, j’ai vu que ça correspondait complètement aux images que j’avais en moi. J’ai été surpris mais aussi  totalement rassuré. On pouvait fonctionner comme ça !

Face au Mur est présenté comme « une fiction inspirée de faits réels », en quelles proportions ?

L A : Il s’agit d’une BD, donc on met forcément en pratique certains mécanismes. Des éléments ont été réinventés, extrapolés, et puis, clairement, vu le sujet, nous ne pouvions pas tout raconter tel quel. On a changé des noms de lieux, de personnes, des  faits n’ont pas été évoqués car ils ont toujours des suites aujourd’hui, et impliquent des personnes bien réelles… On en a d’ailleurs discuté avec l’avocat de Jean-Claude.

J-C P : Je savais que Laurent ne me trahirait pas, car mine de rien chacun est un peu rentré dans la vie de l’autre, mais, très clairement, on devait éviter certaines choses. La question de confiance dont je vous ai parlé est toujours là !

Vous avez choisi de découper le récit en différents chapitres non chronologiques. Pour quelle raison ?

L A : Je voulais reproduire l’expérience que j’avais vécue avec Jean-Claude aux parloirs. En effet, la durée de mes ateliers était limitée, et finalement, après la présentation de notre projet et une solide enquête menée à  mon sujet, j’ai été autorisé à le rencontrer régulièrement aux parloirs. Je n’y ai jamais pris de notes. Je pense que ça aurait faussé notre dialogue. Et puis ça me permettait de rebondir, d’aller plus loin dans le scénario de la BD.

L’inspecteur Bellanger, que l’on retrouve dans différents chapitres et à différents âges est-il réel ?

L A : Non, il a été inventé, je trouvais que c’était bien que le lecteur retrouve le même personnage face à Jean-Claude à différents moments, et même si le récit n’est pas chronologique, il amène une forme de continuité…

J-C P : Il rassemble, en fait, 4 ou 5 policiers différents, ou  plus largement un service auquel j’ai été régulièrement confronté.

Laurent, peut-on parler au sujet de Face au Mur d’un tournant dans votre carrière ?

L A : Il est tôt pour le voir comme ça, mais il s’agit évidemment d’un album très  particulier. On a évoqué le développement du projet, Jean-Claude m’a fourni suffisamment de matière pour le double de chapitres. Et c’est pourquoi Face au Mur comportera un deuxième volume. Techniquement, Face au Mur m’ a ramené à un dessin plus réaliste. J’ai délaissé la palette graphique pour revenir au papier. Pour moi, le plus gros travail a porté sur les voix off. Je voulais que le lecteur puisse lire l'album comme un polar et qu’il y retrouve la musique très particulière des romans noirs américains. On travaille aujourd’hui sur le tome 2.


Extrait du blog Face au Mur

J-C P : On commence aussi à rêver de le voir transposé en film ou en série. Des amis ont traduit l’entièreté du bouquin  et l’ont confié au principal cadreur du réalisateur et producteur Michael Mann. On sait qu’il a été remis à ce dernier et que ça lui a plu, mais ce ne serait peut-être pas, selon lui, le bon moment…mais qui sait ?

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Pierre Burssens
16/05/2017