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Entretien avec Corine Jamar et Fred Simon

"La base de l'histoire de Mermaid Project existe, on a juste eu à monter le son, mais pas tant que ça, en fait..."

Sobrement intitulé Episode 5, l'album le plus récent de Mermaid Project (Dargaud) constitue la fin d'un premier cycle de cette série co-scénarisée par Leo et Corine Jamar, et dessinée par Fred Simon. Hormis son intrigue, interpellante, de légère anticipation mais de plus en plus fréquemment rattrapée par l'actualité, Mermaid Project est aussi l'histoire de la rencontre de deux auteurs sur les planches...d'un théâtre avant celles de la série, et d'un dessinateur "simplement" choisi par le créateur de riches cycles de SF. Nous avons suivi le chant des sirènes pour rejoindre Corine Jamar et Fred Simon et les interroger au sujet de cette excellente série.

 Comment avez-vous été amenée à travailler avec Leo ?

Corinne Jamar : Leo et son épouse avaient particulièrement apprécié mon premier roman, Emplacement réservé, et en ont assuré l'adaptation au théâtre. Il m'a ensuite sollicité pour travailler avec lui sur un scénario de BD. Au départ, nous n'avions pas d'idée, à part celle d'un personnage féminin policier confrontée à un quotidien contemporain. Que faire à partir de cela ? Au cours de nos réflexions, nous nous sommes orientés vers cette légère anticipation, mais tout ce qui se déroule dans ce futur proche prend racine aujourdhui.

 Ce qui est particulièrement frappant quand on découvre la White Army depuis l'accession d'un Donald Trump à la présidence des USA...

CJ : Oui, là on rejoint clairement la réalité, et pourtant cette idée date d'il y a quelques années, mais plusieurs éléments rejoignent effectivement ce que l'on vit, comme ces  rapports de force différents. Au-delà, je pense que nous avons glissé dans cette histoire, assez naturellement, des préoccupations qui sont les nôtres. On n'a pas à pousser le bouchon très loin. Il suffit de regarder les infos, et on découvre qu'il existe des tas de trafics, que la génétique évolue, certes, mais qu'elle donne lieu à des expériences effrayantes. D'une certaine manière, la base de l'histoire de Mermaid Project existe, on a juste eu à monter le son, mais pas tant que ça, en fait... Et nous avons glissé une histoire d'amour en filigrane...

 Concrètement, comment avez-vous travaillé pour élaborer le scénario ?

CJ : Il y a eu quelques petites différences selon les albums, mais globalement on démarre d'une séance de brainstorming pour aboutir à un projet pré-séquencé. De là, on élabore un découpage plus précis, et à cette étape, toute l'expérience de Leo pèse clairement dans la balance. Ensuite viennent les dialogues qui sont plutôt de mon ressort. On prend un peu de distance, on se revoit ensuite et chacun fait part de ses remarques, ensuite on adapte en fonction de celles-ci.

 Les cétacés sont au centre de l'intrigue, et particulièrement présents dans ce cinquième épisode...

CJ : On continue à étudier les cétacés et à découvrir beaucoup de choses à leur sujet, or il faut savoir que les premières études au sujet des dauphins, et surtout de leur communication, avec pour objectif que l'homme puisse communiquer avec eux, datent des années 60'. De ce côté non plus on n'est pas vraiment dans la science-fiction !

 Or Leo, depuis pas mal d'années, nous a justement habitués à une SF tournée vers les étoiles, avec les différents cycles du monde d'Aldebaran...

CJ : Oui, et c'était intéressant pour lui de se confronter à un univers plus contemporain et plus directement réaliste, qui lui offrait moins de liberté. De mon côté, par contre, je trouvais que cette « légère anticipation » suffisait à m'ouvrir pas mal de portes, et par ailleurs je m'intéressais beaucoup aux personnages et à leurs actions. Finalement, la confrontation de l'univers de Leo et du mien autour d'un tronc commun était, elle aussi, enrichissante et intéressante.

On vous connaît comme romancière, moins comme scénariste. Quel regard portez-vous rétrospectivement sur ce premier cycle de Mermaid Project ?

CJ : je ne peux vous parler que d'un cadeau, je l'ai vraiment ressenti comme cela. Se faire éditer, que ce soit en BD ou dans d'autres médias représente souvent une telle galère que le seul mot qui me vient à l'esprit pour vous répondre est « cadeau ». J'ai souvent vécu ce processus comme un combat, parfois avec beaucoup de douleur...  Travailler sur Mermaid Project m'a paru...soft, ce qui n'est pas fréquent, et j'aimerais recommencer.  Ma première expérience en BD a été la trilogie Les filles d'Aphrodite, avec André Taymans au dessin. Un roman c'est différent, je suis seule à la barre, je peux écrire ce que je veux, j'ai davantage de contrôle jusqu'au moment où le projet est soumis à un éditeur. La BD c'est différent, on ne travaille pas seul, ça doit être plus cadré, plus précis, ne fût-ce que par respect pour le dessinateur.

 Le dossier qui complète l'épisode 5 nous rassure quant à une suite...

CJ : Effectivement, on avait envie de voir ce qu'allaient devenir nos personnages. Nous travaillons donc à un « faux » tome 6, qui constituera le début d'un deuxième cycle, avec une pagination plus importante. Ce deuxième cycle pourrait comporter deux tomes de ce type. Ensuite...on devra en discuter avec l'éditeur. Mais une chose à la fois !

 Fred, on remarque une évolution de votre dessin au cours des 5 épisodes...

Fred Simon : Je ne crois pas que mon dessin, en tant que tel, ait beaucoup évolué, mais j'ai changé, en effet, plusieurs petites choses autour de celui-ci. Mon trait est plus épais aujourd'hui, plus appuyé, mais j'essaye aussi de laisser davantage de place à la couleur. Mon frère Jean-Luc assurait, au départ, une colorisation à l'encre. Aujourd'hui il emploie une autre technique. Il s'agit d'un ensemble de petites évolutions comme celles-là...

 Cet épisode 5 comporte de nombreuses scènes qui se déroulent dans les tunnels de l'île d'Algapower, comment ne pas être répétitif ?

FS : Ce type de situation s'était déjà présenté dans le deuxième épisode, et ça m'a paru plus facile ici. De manière plus générale, j'aime beaucoup travailler sur les décors et y ajouter de nombreux détails. Je dois d'ailleurs parfois me freiner dans cette direction...  Définir la structure de l'île m'a paru plus compliqué. Il fallait que ce soit plausible et qu'elle puisse abriter les péripéties du scénario. A partir du moment où j'ai pu m'appuyer sur cet élément, le reste est venu assez facilement et logiquement...

 Votre vision de certains bâtiments existants, projetés dans ce futur proche et ses bouleversements est particulièrement impressionnante. Comment procédez-vous ?

FS : Je pense que c'est surtout impressionnant parce qu'il s'agit d'édifices connus, qui disposent d'une image bien établie à laquelle nous sommes habitués, même peut-être inconsciemment. Si vous prenez le 36 Quai des Orfèvres tel qu'il apparaît dans cet épisode 5, il me suffisait de partir de photos du bâtiment actuel, de le « vieillir », le dégrader un peu, et de l'entourer d'une végétation luxuriante, de palmiers, en glissant une embarcation « exotique » sur la Seine...  On sait que l'on se trouve dans un univers différent, et quand il s'agit d'un édifice encore plus connu, comme la Tour Eifel, brisée, il ne subsiste vraiment plus beaucoup de doutes !

 Les cétacés constituent un des fils rouges de la série, et jouent un rôle essentiel dans ce 5e album. Comment les avez-vous abordés graphiquement ?

FS : Avec beaucoup de croquis préparatoires, au départ. Au fil de la série j'ai aussi accumulé pas mal de documentation, et comme ils apparaissent dans chaque album j'ai fini par me débrouiller.

 Plusieurs dessinateurs travaillant sur des séries scénarisées par Leo tentent de se rapprocher de son dessin. Y avez-vous pensé quand vous avez été choisi pour Mermaid Project ?

FS : Non, s'il m'avait choisi, c'est qu'il connaissait mon dessin. De plus, mon style est plutôt semi-réaliste , et je ne sais d'ailleurs pas si je pourrais l'orienter vers quelque chose de différent, ni vers plus de réalisme, ni, si le cas se présentait, vers quelque chose de plus humoristique. J'ai donc conservé ma direction, et visiblement c'est ce que l'on me demandait !

Le tome 5 marque la fin d'un cycle. Qu'en retenez-vous ?

FS : Beaucoup de plaisir, et une très belle collaboration avec Leo et Corine. On s'est très rapidement trouvés sur la même longueur d'ondes et tout a bien fonctionné, sans heurts. Aujourd'hui, la mode est plutôt aux diptyques ou aux triptyques. 5 albums c'est déjà beaucoup et ça demande une certaine patience au lecteur, c'est pourquoi nous avons opté pour moins de tomes, mais avec une pagination plus importante pour la suite. Le scénario du prochain est bouclé, et je me réjouis qu'il se déroule dans une autre partie du monde.

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Pierre Burssens
02/05/2017