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Entretien avec Martin Jamar

"Il était finalement préférable de s’éloigner des tableaux et de camper un personnage qui corresponde plus au récit"

Faire d’un personnage réel un héros de BD n’est pas chose aisée. A fortiori quand il s’agit d’un personnage religieux aussi emblématique que Saint Vincent de Paul. On ne s’attendait pas forcément à voir Jean Dufaux sortit de ses thèmes de prédilection et relever un tel défi. Vincent un saint au temps des mousquetaires s’avère à la fois touchant et passionnant. Il conjugue l’évocation de Vincent de Paul à une véritable intrigue policière dans le Paris du XVIIe S. Au dessin, on retrouve Martin Jamar, déjà associé au scénariste pour Les voleurs d’Empires et Double Masque. Il évoque avec nous cet album remaquable et…particulier !

 Comment avez-vous réagi quand Jean Dufaux vous a proposé ce sujet ?

Martin Jamar : J'ai été surpris, et perplexe dans un premier temps. Ensuite Jean m'a donné plus d'explications, et je me suis engagé dans cette aventure. Je pense d'ailleurs que ça a surpris pas mal de monde. Jean Dufaux évoque plus souvent, dans ses scénarios, le côté noir des choses. Avec Vincent, on abordait une intrigue policière, historique, mais dans le contexte du combat d'un personnage qui deviendra un Saint. Jean Dufaux m'a demandé si j'étais croyant ou me considérais comme tel, je lui ai répondu par l'affirmative. Et la perplexité a alors laissé la place à une bonne surprise.

Etre croyant vous a-t-il aidé dans la réalisation de l'album ?

Pas directement, mais ça me semblait préférable, et je pense qu'il y a ainsi davantage de sincérité dans ce que nous voulions transmettre dans l'album. Autrement, il me semble que le personnage aurait pu être utilisé, probablement différemment, mais dans quel but ? Peut-être que ça renforce aussi un certain côté personnel de la BD…

Connaissiez-vous le personnage ?

Dans les très grandes lignes seulement… Je me souvenais avoir assisté, pendant mes études, à des Conférences St Vincent de Paul, je savais que ses œuvres intervenaient envers des enfants défavorisés dans certains quartiers… Il s’agit tout d même d’un personnage relativement connu. C’était assez rassurant avant d’entamer le travail sur l’album en tant que tel. Je savais un petit peu où je mettais les pieds !

Après Les Voleurs d’Empires et Double Masque, Vincent représentait aussi un grand changement d’époque…

Oui, mais j’avais déjà abordé le XVIIe S. dans un one-shot publié au début des années 90’ au Lombard, La Lettre de Feu. J’ai donc ressorti ma documentation, insuffisante. Mais j’ai trouvé beaucoup de choses, notamment dans un livre évoquant Paris à travers les siècles, j’ai aussi effectué pas mal de recherches sur internet, comme des plans de Paris à l’époque, qui m’ont aidé à y orienter l’action. J’ai aussi découvert des images de cette période présentant la ville « à vue d’oiseau », étonnantes dans leur précision, des vieilles gravures etc. Au départ je pensais que ce serait plus compliqué, mais en creusant, on trouve finalement beaucoup de documents.

Comment avez-vous défini le personnage de Vincent de Paul ? En existe-t-il des portraits ?

Il existe plusieurs portraits de Vincent, mais qui le montrent plus âgé, voûté… Au départ je m’en suis inspiré mais nous avons fini par convenir, avec Jean Dufaux, qu’il était trop âgé pour notre histoire. Ca ne pouvait pas coller. On a ensuite pensé au comédien Lambert Wilson, qui a interprété l’Abbé Pierre dans le film Hiver 54. Il y a des points communs entre ces personnages, et je suis parti dans cette direction, sans toutefois me limiter à du copié-coller. Il était finalement préférable de s’éloigner des tableaux et de camper un personnage qui corresponde plus au récit, et avec lequel l’ensemble puisse mieux fonctionner.

En refermant l’album, l’impression qui subsiste quant à Vincent est celle de sa volonté, et, quelque part, de sa solidité…

Mais tout indique qu’il était comme ça. Il avait un caractère très marqué, c’était un hyper-actif qui avait une énergie incroyable qu’il consacrait aux autres. Il pouvait fréquenter les plus petits comme la noblesse… Tant mieux si vous avez ressenti cela. On peut écrire un scénario, dessiner les planches, mais il est très difficile de se mettre, de manière objective, dans la peau du lecteur et d’imaginer quelle sera sa perception. 

Quand on met en scène un personnage réel, quelle est la part de liberté que l’on peut s’allouer ?

Jean Dufaux répondrait plus précisément à cette question, mais nous y avons réfléchi. L’épisode conté dans Vincent, un Saint au temps des mousquetaires aurait pu se produire. Le scénariste doit pouvoir conserver une part de liberté, et je trouve intéressant d’injecter cette part et de la lier à une période et des événements historiques précis. Nous n’avions pas pour objectif de réaliser une biographie de Vincent de Paul, mais l’aborder par le biais d’une intrigue policière permet de le présenter au lecteur, et de transmettre différentes choses à son sujet.

Vous travaillez depuis longtemps avec Jean, votre collaboration a-t-elle évolué au cours des années ?

Forcément, car on se connaît mieux. Jean me fournit un scénario précis, case par case, avec une petite description du plan. Auparavant, il me fournissait une grille, un découpage précis qu’il visionnait en écrivant. Peu à peu, il m’a laissé assurer cette partie. Je lui montre, on discute, et il est rare qu’il me fasse changer quelque chose, mais il a un œil très précis, avec plus de 200 albums à son actif…

Vincent succède à deux séries réalisées en commun. Avez-vous abordé ce projet différemment ?

Pas vraiment, mais pour moi je pense que ça se présentait au bon moment. Les Voleurs d’Empires et Double Masque représentent de nombreuses années de travail, et des années de ma vie, et des séries au long cours exigent une dynamique dont je dispose peut-être moins aujourd’hui. Un one-shot me convenait bien, avec une thématique différente, une époque différente…  Et nous avons actuellement un autre one-shot en chantier avec Jean Dufaux, centré sur une autre figure religieuse, Charles de Foucauld, un univers, à nouveau, totalement différent.

La couverture de Vincent est assez particulière. Pouvez-vous nous parler de son élaboration ?

Pour une fois, elle est venue assez facilement, parfois je chipote mais là je voulais privilégier la simplicité, un fond uni, le personnage principal qui s’en détache. La manière dont il tient sa croix est une idée de Jean. Plusieurs personnes ont hésité par rapport à cela chez l’éditeur, mais il ne s’agit aucunement de provocation, au contraire. Pour nous, Vincent affirme ainsi sa foi et sa croyance, fermement. En même temps, on peut y trouver une analogie avec la façon dont un mousquetaire aurait pu tenir l’épée à son côté, ce que renforce le titre complet, Vincent un saint au temps des mousquetaires. Depuis, j’ai appris qu’à la résidence papale de Castel Gandolfo se trouve un tableau représentant un prêtre polonais pendant la seconde guerre mondiale qui porte une croix de la même manière !

Vincent un saint au temps des mousquetaires a reçu le Prix de la BD chrétienne à Angoulême. Une distinction importante ?

Oui, nous en sommes très heureux pour plusieurs raisons. Le Prix est attribué par un jury œcuménique, pas uniquement catholique, et ça signifie que l’album leur a parlé. Nous ne nous sommes pas trompés, nous n’avons pas malmené Vincent, et je pense que ça salue surtout l’honnêteté de notre démarche. En cours de réalisation, nous nous sommes parfois demandé comment l’album allait être reçu. Nous voulions qu’il puisse toucher un large public, mais n’allait-il pas être trop « catho » pour le public BD, ou trop BD pour les croyants ? On sait maintenant qu’il a été bien reçu des deux côtés, c’est une belle reconnaissance !

Propos recueillis par Pierre Burssens le 7 mars 2017

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Pierre Burssens
24/04/2017