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Entretien avec Nathalie Ferlut

"La vie d' Andersen ressemble elle-même, par de nombreux aspects, à un conte"

Après son remarqué Eve sur la balançoire, Nathalie Ferlut s'est intéressée à un autre personnage singulier dans un bel album : Hans Christian Andersen, les Ombres d'un Conteur (Casterman). Elle y plonge le créateur dans un univers proche de ses célèbres histoires, ou plus simplement un univers proche de lui, tant sa présence était marquée dans nombre de ses écrits. Le résultat s'avère, en tous cas, riche et original. Ce beau livre est sorti en août 2016, mais nous avons profité d'une rencontre avec Nathalie Ferlut à la Foire du Livre de Bruxelles pour en apprendre plus sur sa démarche.

Vous passez d'Eve sur la balançoire à Andersen, quel contraste...

En effet, les deux personnages n'ont pas grand-chose en commun. J'ai donné à l'histoire d'Eve les allures d'un conte cruel, alors que la vie d'Hans Christian Andersen, elle, ressemble, par de nombreux aspects à un conte. Il est né pauvre, s'est retrouvé orphelin et a fini par réussir grâce à son obstination et à une part de chance. Il croyait énormément en lui et a réussi totalement sa vie d'artiste, bénéficiant notamment de la reconnaissance des têtes couronnées. Toute sa vie peut être vue comme un parcours initiatique.

Vous intéressiez-vous à Andersen avant ce projet d'album ?

Oui, car ses contes ont longtemps été une de mes lectures préférées, et beaucoup de choses m'en sont restées. Même matériellement, j'ai gardé pas mal de petits objets qui me rappellent cet univers. Il y a quelques années, j'ai relu certains contes et j'ai vraiment réalisé qu'il s'agissait de bonne littérature, subtile, avec des éléments personnels et délicats.

Chaque chapitre des Ombres d'un Conteur illustre un épisode de la vie d'Andersen, mais devient aussi une sorte de petit conte. Pourquoi avoir choisi cette structure ?

Je voulais éviter l'écueil de la biographie classique, de la naissance à la mort. J'ai procédé à pas mal d'essais, mais les premières versions n'étaient pas bonnes. Je n'avais pas non plus envie que les chapitres correspondent à un découpage thématique. Finalement, associer l'écriture de chaque chapitre à l'univers des contes et conclure, à chaque fois, par une petite morale semblait une bonne formule. L'album comporte 12 chapitres mais il y avait beaucoup de choses à dire, et je pense qu'il aurait pu y en avoir 12 de plus, car la vie du Conteur a été très riche. Une autre difficulté a été de faire parler le personnage, et de le rendre sympathique et attachant pour le lecteur, car Andersen présentait de multiples facettes. D'où l'intérêt d'utiliser certains personnages de ses contes pour les illustrer.

A la lecture de l'album, on mesure d'ailleurs qu'il s'agit, avant tout, d'un important travail d'écriture...

Et d'un travail difficile, en essayant de se rapprocher de ce que lui-même aurait pu écrire. Il fallait aussi composer avec les caractéristiques de la Culture scandinave, avec, par exemple, des rapports sociaux différents des nôtres, mais qui aident à comprendre certaines étapes du cheminement d'Andersen. Ca m'a plu énormément d'étudier cela.

Andersen, les Ombres d'un Conteur constitue un roman graphique foisonnant, à la fois graphiquement et dans son écriture. Combien de temps vous a demandé sa réalisation ?

3 ans en tout. La première année a surtout été consacrée à la documentation et à la lecture des différentes  biographies du personnage. La meilleure est d'ailleurs française ! J'ai relu les Contes, les Carnets de voyage. Par contre je n'ai pas insisté sur ses romans, dont l'écriture semble aujourd'hui vraiment lourde et datée. J'ai également recherché de la documentation graphique, ce qui n'a pas été facile. Gros contraste, de ce côté aussi, avec le New-York de Eve sur la balançoire...

Est-ce pour cela que vous avez privilégié des images qui, elles aussi, rappellent l'univers des contes ?

Je voulais que ce soit coloré, lumineux, que ça rappelle des images que nous avons en nous depuis l'enfance. Ce choix a surpris pas mal de lecteurs, mais je n'aurais pas pu, picturalement, aborder Andersen de la même manière que Eve. Techniquement, j'ai mélangé beaucoup de choses sur les planches d'Andersen. Des lavis, de la couleur directe, beaucoup de traitement numérique aussi. L'approche choisie m'offrait la liberté de « bidouiller », j'en ai profité !

Vous nous parlez pourtant des « Ombres » d'un conteur...

Car Andersen avait sa part d'ombre. Si on étudie ses découpages, puisqu'il s'agissait de l'une de ses activités, et dont je me suis inspirée pour certains motifs qui apparaissent dans l'album, on remarque qu'à côté de nombreux exemples de cygnes, de canards, d'éléments végétaux, on trouve aussi des silhouettes beaucoup plus morbides, ou avec un caractère sexuel. J'avais envie d'exploiter cette dualité. L'un des contes d'Andersen s'intitule également l'Ombre, et il y met en scène un personnage qui paraît très proche de lui, confronté à son ombre, à sa part d'ombre...  Ca rappelle un peu, par la thématique, le Portrait de Dorian Gray, et il est probable que l'auteur ait lu la nouvelle d'Oscar Wilde. Andersen a toujours veillé à montrer une image lisse, propre, mais il avait sa part d'ombre et laisse quand même  une impression ambiguë quant à certains aspects de sa personnalité, comme sa sexualité...

Après Eve et Andersen, votre prochain album sera-t-il, lui aussi, centré sur un personnage authentique ?

Oui, mais différemment car il y a plusieurs projets en cours, mais comme scénariste ou comme dessinatrice. J'avais envie de pouvoir prendre un certain recul par rapport au sujet, ce qui est difficile quand on assure seule l'entièreté de l'album. Je n'avais plus envie de ce rapport-là... En septembre sortira un album consacré à Artemisia, dessiné par Tania Bauduin, et je travaille également à un bouquin sur Ponzi, un petit banquier italien qui, dans les années 30', imagina un type d'escroquerie qui porte aujourd'hui son nom, le « système Ponzi ». Il alla jusqu'à escroquer Mussolini ! Et là, l'idée vient d'un scénariste.

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Pierre Burssens
18/04/2017