Auracan » Interviews » Entretien avec Frédéric Peynet

Entretien avec Frédéric Peynet

 "Je travaille sur l'adaptation du Projet Bleiberg comme sur une création"

Aujourd'hui disponible en format poche, le thriller de David S. Khara le Projet Bleiberg a initialement constitué un beau succès des éditions Critic. Il se décline depuis peu en BD (Dargaud) dans une adaptation de Serge Le Tendre (scénario) et Frédéric Peynet (dessin). Le duo avait déjà porté Les vestiges de l'Aube, du même auteur, en bande dessinée. La qualité est une fois de plus au rendez-vous. Ne dit-on pas qu'on ne change pas une équipe qui gagne ? Nous en avons parlé avec Frédéric Peynet, de passage à Bruxelles.

 Après Les Vestiges de l'Aube, vous entamez l'adaptation du Projet Bleiberg. Comment en êtes-vus venu à travailler à partir des romans de David S. Khara ?

Frédéric Peynet : Il y a beaucoup à dire à ce sujet. Je vous explique le cheminement. L'écrivain David S. Khara a déclaré que son envie d'écrire est née de la lecture de La Quête de l'Oiseau du Temps, de Régis Loisel et Serge Le Tendre, précisant que le texte de Serge lui avait autant parlé que les dessins. Hasard, David S. Khara et Serge Le Tendre habitaient la même ville, se côtoyaient régulièrement et discutaient autour d'un café sans que l'un sache qui était l'autre ! Quand les éditions Critic ont donné leur accord pour le roman Les Vestiges de l'Aube, David S. Khara a sollicité Serge Le Tendre afin qu'il écrive la préface du bouquin. Les deux hommes se sont reconnus, ont sympathisé, et David a rapidement évoqué son envie de voir son livre adapté en BD. Une semaine plus tard, Le Tendre lui envoyait le premier chapitre scénarisé.

Pour ma part, j'ai pris une claque magistrale en lisant Tyrésias et La Gloire d'Hera, dessinés par Rossi sur des scénarios de...Serge, et travailler avec lui faisait partie de mes rêves de dessinateur débutant. J'avais envoyé certains projets chez Dargaud, qui ont été montrés à Serge. L'éditeur m'a transmis le scénario des Vestiges de l'Aube sans me dire qui l'avait signé. L'histoire me plaisait, j'avais envie de travailler dessus, j'ai rapidement contacté Dargaud et...une demi-heure après, Serge Le Tendre me téléphonait ! C'est de cette manière que nous avons fait connaissance et que nous avons commencé à travailler ensemble sur Les Vestiges de l'Aube !

Vous avez choisi de traiter, graphiquement, le Projet Bleiberg de manière totalement différente. Pourquoi ?

L'éditeur souhaitait que l'on ne confonde pas les deux séries, que l'on mesure qu'il s'agit bien de deux histoires distinctes. Or, comme il s'agit de deux adaptations des oeuvres d'un même auteur, menées par le même scénariste et le même dessinateur, c'est au niveau du dessin que la différenciation pouvait intervenir. J'avais mis de côté les couleurs directes mais j'avais envie d'y revenir, ça n'a pas été très compliqué.

 Vous revenez aux couleurs directes, mais avec une luminosité très particulière...

Oui, car au départ, la seule place que je laissais au blanc du papier se limitait aux phylactères. Aujourd'hui, je joue avec ce blanc pour obtenir une lumière limpide. J'essaye d'utiliser le moins de couches de couleurs possible afin de conserver une forme de fluidité.

 Pratiquement, comment s'organise le travail avec le scénariste ?

Serge écrit tout le scénario, le laisse reposer un peu puis le retravaille. Il m'envoie un scénario détaillé mais pas trop, pour ne pas me bloquer dans mon imagination. J'étudie le projet et ensuite on s'accorde une semaine de travail en commun à raison de 10 ou 12 h par jour. Pendant ce temps, nous réalisons l'entièreté du story-board à deux, page après page. Cette méthode nous permet de confronter nos visions, de rebondir. Mais le scénario n'est pas figé et nous pouvons encore modifier certaines choses en cours de route si l'histoire le demande.

 David S. Khara conserve-t-il un regard sur l'adaptation ?

Nous lui fournissons l'entièreté du découpage. Par rapport au roman, nous devons forcément effectuer des choix, des coupes...  Pour le tome 2 du Projet Bleiberg, par exemple,  notre éditeur trouvait qu'une scène d'action était trop longue, nous en avons donc enlevé certains éléments, il ne s'agit plus exactement de la même chose que dans le livre de Davis S. Khara, mais nous devions en passer par là...

On voyage beaucoup, dans le Projet Bleiberg. Cette variété de lieu vous a-t-elle posé une difficulté particulière ?

Un effort de documentation, surtout, mais heureusement, j'avais déjà pas mal de photos, des Etats-Unis, notamment. Pour les Vestiges de l'Aube, j'avais profité du voyage d'un couple d'amis, qui me l'avaient proposé et à qui j'avais donné une liste de lieux à photographier. Finalement, dans le projet Bleiberg, il y a un passage à Zurich au sujet duquel je n'avais rien. Heureusement, Internet est là ! Mais j'essaye de recomposer les documents dont je dispose en fonction des scène, il ne s'agit pas de recopier bêtement une photo, et on discute d'ailleurs des compositions choisies avec Serge Le Tendre.

Eytan Morg, un des personnages du Projet Bleiberg est très particulier. Secondaire au départ, il gagne progressivement le devant de la scène...ce qui se confirme dans l'oeuvre de David S. Khara, le Projet Bleiberg constituant le premier volet d'une trilogie. Avez-vous abordé la création d'Eytan différemment de celle des autres personnages ?

C'est amusant que vous me posiez cette question, car nous en discutions avec David S. Khara ce matin encore... Lui n'avait pas imaginé Eytan comme ça. Quand nous l'avons développé avec Serge Le Tendre, nous l'avons « épaissi » physiquement, probablement en fonction de son caractère. David le voyait plus élancé, plus athlétique. Pour nous il était logique que ce soit l'aspect costaud qui en ressorte, et qui renforce son contraste avec Jacky et Jeremy. Mais David a trouvé ça intéressant, et a été convaincu par la puissance que dégage « notre » Eytan.


Eytan Morg, pas à pas... 

 Hormis le dessin, dont nous avons parlé, avez-vous abordé le Projet Bleiberg dans un esprit différent des Vestiges de l'Aube ?

Oui, de manière plus détendue. Pour les Vestiges de l'Aube, je me suis mis beaucoup de pression. Je travaillais avec un grand scénariste que j'admire depuis longtemps, pour un éditeur que j'aime beaucoup...  Je ne voulais pas trahir David S. Khara ni ses lecteurs...  Aujourd'hui je me sens libéré de ces aspects. Je pense que je me suis davantage approprié les personnages, je me suis affranchi de ce poids et je travaille sur l'adaptation du Projet Bleiberg comme sur une création. Les couleurs directes m'ont aussi aidé car elles m'ont libéré de l'encrage qui me « coinçait » un peu. Je voulais trouver le « bon » trait, et à l'arrivée, j'ai l'impression que ça fige plus le résultat. Mais les dessinateurs qui parviennent à ce que ne soit pas le cas sont très rares ! Maintenant j'aborde l'encrage comme une étape parmi d'autres, et plus comme « la » phase décisive pour que, quelque part, l'éditeur et le lecteur en aient pour leur argent...

 En combien de tomes l'adaptation du Projet Bleiberg est-elle prévue ?

En trois albums. Le tome 2 devrait sortir en septembre ou en octobre. Je vous avoue que je jongle un peu avec mes horaires car je suis un jeune papa, mais ça devrait aller. Ici, en déplacement à Bruxelles pour la Foire du Livre, je devrais passer deux bonnes nuits (rires) !

 Le Projet Bleiberg pourrait-il être suivi du Projet Shiro et du Projet Morgenstern, les autres volets de la « trilogie Morgenstern » de David S. Khara ?

Il est tôt pour en parler, mais l''envie existe, en tous cas. David serait partant pour cette « suite », je pense que Serge Le Tendre y travaillerait avec plaisir...  Mais nous ne maîtrisons pas tous les paramètres. L'éditeur doit être ok et les lecteurs au rendez-vous !

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
03/04/2017