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Entretien avec Vincent Dugomier

"On sent que de très nombreuses personnes sont touchées par cette histoire et ont envie d'y apporter quelque chose."

Les Enfants de la Résistance entrent au musée national de la Résistance de Belgique (*) le temps d’une exposition, jusqu’au 30 juin 2017. Une belle reconnaissance pour la série de Benoît Ers (dessin) et Vincent Dugomier (scénario) qui, depuis son premier tome, éveille un engouement tout particulier.

Conférences, rencontres avec des acteurs bien réels des faits évoqués, débats dans les écoles et, côté BD, quelques enviables récompenses. Alors que vient de paraître Les Deux Géants (Le Lombard), le troisième tome de la série, son scénariste Vincent Dugomier évoque pour nous les ingrédients de cette belle aventure.

Que représente pour vous cette exposition dans le cadre du Musée national de la Résistance ?

Nous en sommes très contents, et très fiers. Les panneaux de cette exposition ont été réalisés en plusieurs exemplaires, afin qu'elle puisse être présentée un maximum dans des salons du livre, festivals BD etc. On la verra ainsi très prochainement à la Foire du Livre de Bruxelles, au festival Diagonale, à Cap Bulles... Mais son accueil au Musée de la Résistance constitue une reconnaissance et lui accorde un réel crédit. D'autre part, le musée est décentré, peu connu malgré la richesse de ses collections, et pour lui c'est l'occasion d'attirer de jeunes visiteurs. Chacun y gagne !

Imaginiez-vous, au départ, au-delà des albums, que Les Enfants de la Résistance allaient susciter un tel intérêt ?


Benoït Ers et Vincent Dugomier

au Musée national de la Résistance de Belgique

Non. Benoît Ers et moi savions ce que nous voulions raconter. Et puis, un premier contact s'est établi avec le Mémorial de Caen, qui réalise un très beau travail autour de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Puis on nous a dit que nous allions être sollicités par des écoles... Nous n'avons pas vraiment réfléchi à ce qui se passait autour de la série, les choses se sont concrétisées de cette manière, et pour nous ça représente une sorte de conte de fées. On sent que de très nombreuses personnes sont touchées par cette histoire et ont envie d'y apporter quelque chose. Lors de séances de dédicaces, on récolte beaucoup d'anecdotes quant à cette période. Des lecteurs d'une même famille, mais de plusieurs générations, viennent parfois nous rencontrer, et notre BD, chez eux, ouvre à la discussion, à la transmission. C'est très émouvant d'assister à cela. Nous gardons parfois le contact avec certains lecteurs, qui nous confient des histoires, des souvenirs... On mesure aussi, en rencontrant des lecteurs dans différents endroits, combien le vécu de ces événements a été différent selon les régions. Les souvenirs de l'Occupation en Normandie sont, par exemple très différents du vécu en Alsace... Toutes ces rencontres représentent beaucoup de richesse et alimentent aussi, indirectement, notre récit.

Muriel et Boulon (Le Lombard), Les Démons d'Alexia (Dupuis), Hell School (Le Lombard)... Vous avez l'habitude de travailler ensemble avec Benoît, mais avez-vous abordé Les Enfants de la Résistance différemment de vos autres séries ?

Je pense que nous avons toujours eu une bonne osmose et que ça continue. Pour Benoît, graphiquement c'est différent, puisqu'il réalise ses couleurs, ce qui ajoute une dimension encore plus personnelle au résultat final. C'est une période qui l'intéresse et il s'y sent bien. Quant à moi ce projet me permet de mettre en situation, d'illustrer par le récit des idéaux qui me sont chers, ce que j'aime. Et j'en suis très heureux. Plus fondamentalement, l'idée des Enfants de la Résistance a pour point de départ des souvenirs de nos familles respectives, et c'est pour cela que le premier album de la série leur est dédicacé. Il y a une dimension d'hommage dans la démarche, et peut-être un côté affectif davantage présent que dans nos précédentes séries.

Pour le récent Les Deux Géants plus encore que pour les albums précédents, on ressent que vous inscrivez très précisément l'histoire de Lisa, Eusèbe et François au coeur des événements historiques. Comment procédez-vous ?

Globalement, je pars de l'histoire des personnages, et progressivement j'élargis le champ. Je m'efforce d'être le plus proche possible de la chronologie des événements, mais pour chaque album j'essaye aussi de choisir un thème. Ici, les entrées en guerre des deux géants, l'Union Soviétique et les USA correspondent à l'ouverture de l'album et à sa conclusion. L'occasion d'aborder le communisme et le capitalisme se prêtait à la fois aux faits historiques, mais aussi à ce qui concerne le devenir de la ferme des parents de François. Quelque part, les conflits qui se déroulent dans cette famille ou dans ce petit univers villageois sont une illustration de ce qui secoue en même temps le monde. J'avance très progressivement, par tâtonnements...  Cette fois, il y a eu beaucoup d'essais, de réécritures de cet épisode, mais c'est le résultat qui compte ! Je ne peux pas comparer l'écriture des Enfants de la Résistance à celle de Hell School, par exemple. Hell School est un thriller avec un climat totalement différent. Ici je vois plutôt cela comme un journal, une chronique. Tout en sachant que mon thème, quand il est défini, doit pouvoir être abordé de manière relativement complète, du moins par rapport à la BD et à son contexte, sur 46 pages.

Est-ce la raison pour laquelle chaque album comporte un dossier pédagogique ?

Oui, un dossier qui pourrait d'ailleurs être plus long, mais ne perdons pas de vue que Les Enfants de la Résistance s'adressent, a priori, à un public jeunesse. Ce dossier me permet d'alléger le scénario, de laisser plus de place, sur les planches, à l'action et à l'émotion. Ces pages documentaires se composent en écrivant le scénario, elles en sont le prolongement, le complément total. Leur écriture me demande énormément de temps, beaucoup de recherches, de synthèse... Je dois rendre une matière complexe accessible au plus grand nombre, et de manière agréable.

Le mot « Fin » apparaît très clairement en dernière case des Deux Géants. Fin de cycle ou fin de la série ?

Non, juste la fin de l'album. Mais plusieurs personnes ont eu un doute... Peut-être aurions-nous dû préciser « fin de l'épisode »...

Combien d'albums prévoyez-vous Les Enfants de la Résistance ?

Ce n'est pas défini. Je vous l'ai dit, pour le scénario, je progresse à tâtons. Au départ, nous avons signé avec l'éditeur pour deux albums. Je lui ai expliqué ma façon de travailler, que deux albums c'était court, mais il m'a répondu qu'il me faisait confiance. Je ne dispose pas d'un plan précis de la série, mais j'ai envie d'en situer l'épilogue dans l'immédiat après-guerre, en évoquant la problématique de ces enfants qui n'ont pas pu aller à l'école pendant la guerre et auxquels on a, finalement, volé cette possibilité, avec les conséquences qui ont suivi. Mais définir un nombre précis d'album est difficile, d'autant plus que nous disposons de beaucoup plus d'informations, d'éléments, d'anecdotes aujourd'hui, glanés notamment lors des différentes rencontres que j'évoquais plus haut, qu'au départ du projet.


une exposition ludique et interactive

On a récemment, en quelques albums, découvert une autre de vos passions, l’automobile…

Les voitures anciennes, plus précisément. Garage de Paris (dessin Bruno Bazile, Glénat) est un projet qui doit avoir une vingtaine d’années, mais avant que Jean-Luc Delvaux ne soit publié, il n’y avait pas de place pour ça en BD. Pour moi, il s’agit d’une vraie passion, j’ai longtemps roulé en voiture ancienne. Le sport auto m’attire moins. La biographie de Jacky Ickx (dessin Jean-Marc Krings, Glénat) résulte davantage d’une demande de l’éditeur, mais y travailler m’a rappelé des souvenirs d’enfance. Il entamait sa carrière alors que je venais au monde, et c’était drôle de superposer ces souvenirs avec la chronologie de la carrière du pilote. Quant à la 4 CV (La Naissance de la 4 CV, dessin Bruno Bazile, Glénat), il s’agit vraiment d’une voiture extraordinaire. C’était ma première auto, et son histoire, sa conception me faisaient rêver. Et son histoire de voiture populaire s’intègre à l’histoire de France, avec la guerre, la résistance, la collaboration, Renault, les conflits sociaux… Tout ça au départ d’une voiture, le sujet méritait d’être exploré.

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Pierre Burssens
06/03/2017