Auracan » Interviews » Entretien avec Valérie Constant

Entretien avec Valérie Constant

"Si l'ensemble s'accorde, je pense qu'il s'agit d'un véritable moment de grâce..."

Le Centre Belge de la Bande Dessinée (CBBD) présente jusqu'au 28 mai une grande exposition consacrée à l'Art de la Couverture. Une première, puisque jusqu'ici, jamais autant de place ni de recherches n'avaient été accordées à cet élément, pourtant déterminant, d'un album BD.

L'expo est riche, passionnante, largement interactive, et on y apprend vraiment beaucoup. Valérie Constant, bien connue du microcosme de la presse BD belge et commissaire de l'exposition, nous en offre une visite guidée et répond à nos questions.

Pourquoi consacrer une exposition aux couvertures d'albums et à leur élaboration ?

Parce qu'il s'agit de l'acte le plus collectif dans la réalisation du livre, et nous avions envie de donner la parole à tous les acteurs du secteur. Autour d'une couverture, on retrouve évidemment les auteurs, mais aussi leur éditeur, les commerciaux, éventuellement des graphistes... La couverture doit conjuguer la dimension artistique de l'album avec des impératifs commerciaux, elle doit, en tous cas, permettre la rencontre de ceux-ci, et, finalement, séduire commercialement.

De ce côté, y a-t-il des recettes, des tendances ?

Nous avons interrogé des libraires à ce sujet, et ce qu'ils nous ont rapporté est très cliché : une jolie fille ou une voiture en couverture, ça fait vendre, c'est efficace et populaire ! Heureusement, les couvertures actuelles font preuve de beaucoup plus de liberté et de diversité. Une partie de l'exposition présente l'évolution des couvertures par décennies, de 1960 à 2010, et on constate qu'à partir des années 70', des quasi-règles qui étaient en vigueur auparavant commencent à éclater. Des constantes que l'on retrouvait dans la composition, la présence du héros, l'évocation explicite du sujet, la couverture qui devait raconter une histoire... Tout ça a été remis en question, et contribue encore à la richesse que l'on rencontre aujourd'hui dans le domaine.

La couverture de l'Odeur des Garçons affamés, de Frédéric Peeters et Loo Hui Phang occupe un espace tout particulier au sein de l'exposition, qu'est-ce qui vous a amené à ce choix ?

Les auteurs expliquent que cette couverture a vraiment conduit au consensus des différents acteurs que nous évoquions. Elle a un côté trompeur, mystificateur. A première vue, on découvre une scène classique de western. Mais si on y regarde de plus près, on se rend compte que le titre, le lettrage, donne l'impression de rentrer dans la roche du passage emprunté par les personnages. Ensuite, avec du recul, oui, on se rend compte que ça évoque un sexe féminin. Et ce côté trompeur caractérise le récit, l'album. Il s'agit d'un western, mais aussi de bien autre chose. Tous les intervenants ont eu leur mot à dire quant à cette couverture, et les auteurs ont présenté de nombreux projets qui partaient dans des directions très différentes, avec, également, de nombreuses variations dans le lettrage du titre. Mais à l'arrivée, on obtient un résultat qui est efficace, beau d'un point de vue graphique, et comporte, à mon sens, une certaine magie proche de celle du livre.

L'évolution du secteur BD, et notamment l'explosion du nombre de titres publiés, a-t-elle induit de nouveaux enjeux, de nouveaux impératifs quant à la réalisation des couvertures ?


Le sourire de Rose (Sacha Goerg), une question de cadrage

Oui, il y a évidemment le souci d'efficacité, la volonté de se différencier des autres afin que, dans la vitrine ou les présentoirs d'une librairie, le lecteur et client potentiel soit davantage attiré par tel album plutôt que par les autres, ait envie de le feuilleter, et, idéalement, de l'acheter. Ca c'est pour l'aspect commercial. Du côté des auteurs, on constate qu'ils disposent de moins en moins de temps pour réaliser leur couverture. En effet, autrefois, de nombreuses BD étaient d'abord prépubliées dans des magazines et, souvent, l'album sortait un bon moment après cette prépublication. Les dessinateurs avaient le temps de prendre un certain recul sur le contenu et pouvaient profiter de ce délai pour se consacrer à la couverture. Aujourd'hui, les commerciaux ont besoin d'images pour démarcher les libraires, et on besoin des couvertures des albums. Et donc, souvent, les auteurs s'y attachent bien avant d'avoir terminé les planches, et fort en amont de la publication de l'album, même s'ils présentent un projet de couverture provisoire. Dans certains cas, on remarque aussi un retour de la part des libraires et des représentants, qui peut parfois conduire à un changement du visuel présenté. Frédérik Salsedo et Régis Hautière ont, par exemple, rencontré cela pour la couverture du tome 1 de leurs Trois Grognards, que l'on présente dans l'exposition.

Classique des classiques, la couverture de la Marque Jaune y a évidemment sa place...

Là aussi, l'histoire de sa réalisation est intéressante. Comme le montrent les projets réalisés par Jacobs, celui-ci tenait, au départ, à ce que l'on puisse situer l'histoire d'un point de vue géographique. Il aurait aimé y inclure des éléments emblématiques de Londres. Mais il avait un directeur artistique, Hergé, qui avait notamment beaucoup travaillé en publicité et connaissait les règles de celle-ci. Force est de constater que tout qui s'intéresse à la BD et à son histoire connaît et identifie immédiatement le couverture de cet album. Aurait-elle eu le même impact si Jacobs avait conservé un de ses projets initiaux ?

 Peut-on établir un parallèle avec des couvertures de romans ?

Pas vraiment, car en littérature il y a un « effet collection » qui joue parfois, comme on le voit avec Gallimard. Par contre, avec l'apparition et le développement du roman graphique, certains éditeurs de BD ont essayé de s'en rapprocher. Regardez la collection Ecritures, chez Casterman... Mais les codes graphiques vieillissent plus ou moins bien, et ce n'est pas par hasard que cette collection est en train de changer de présentation. D'autres éditeurs ont fait de leurs couvertures une marque de fabrique, comme Futuropolis, mais ça reste assez spécifique...

Qu'en est-il de cette pratique où, parfois, la couverture est réalisée suivant une technique complètement différente du contenu de l'album, et même parfois par un autre dessinateur ?

Dans certains cas, je pense que l'honnêteté de l'éditeur peut vraiment être mise en question. On trompe le lecteur sur la marchandise, clairement. D'autant plus que, parfois, dans certaines grandes surfaces notamment, l'album est conditionné sous cello, et que le client n'a même pas la possibilité de se rendre compte de cette pratique. S'il s'agit du même auteur, d'autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte. Regardez Thorgal, toutes les couvertures de Rosinski sont, au départ, des peintures. Mais dans ce cas, peut-être faut-il aussi envisager un autre aspect commercial, celui des ventes de planches, d'originaux. La cote d'une couverture est généralement supérieure à celle d'une autre planche, pour peu que l'album ait bien fonctionné, je le précise. Et s'il s'agit d'un véritable tableau... Mais ce phénomène est encore limité, tous les auteurs n'explosent pas en salles de vente, loin de là.


Un bel original, parmi d'autres...

(Cedric - Laudec et Cauvin)

Certaines séries, certains auteurs, font l'objet de multiples rééditions, parfois sous différentes formes, formats, couleur ou N/B... Les enjeux de la couverture sont-ils identiques, dans ce cas ?

Sans doute pas, car il s'agit de séries devenues des classiques et qui bénéficient de leur propre notoriété. Les lecteurs qui les rachètent sous une forme différente connaissent généralement la série initiale. Mais là aussi, il me paraît essentiel, pour l'éditeur, d'être honnête et de ne pas tromper l'acheteur sur la marchandise.

Les journalistes BD vous connaissent en tant que responsable de la communication « presse » du Centre belge de la bande dessinée et de Casterman, notamment. Que retiendrez-vous en tant que commissaire de cette exposition ?

J'y ai appris beaucoup de choses, vraiment ! Une couverture est la conjonction de nombreux éléments et apports de différents intervenants. Si l'ensemble s'accorde, si ça fonctionne, je pense qu'il s'agit, quelque part, d'un véritable moment de grâce... Mais parfois, on n'y arrive pas, et ce n'est pas toujours réussi. Et puis, très personnellement, j'ai mesuré combien certaines couvertures de BD de mon enfance ou avec lesquelles j'ai grandi se sont inscrites, en moi. Lucky Luke, Madame Adolphine...des albums écornés, usés, mais qui représentent autant d'extraordinaires souvenirs !


Un moment de grâce ? (Tamara - Darasse & Zidrou)

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
21/02/2017