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Entretien avec Olivier Berlion

"Je ne peux prétendre à la vérité"

Le 3 juillet 1975, à Lyon, le juge François Renaud est assassiné de trois balles. Malgré les enquêtes, les soupçons, les théories parfois extravagantes, ce meurtre reste sans explication officielle depuis plus de quarante ans. L'enquête en cours de celui qui était surnommé le Shérif, conduisait vraisemblablement vers la mise à jour de liens entre le fameux gang des Lyonnais et des politiciens gaullistes. Le butin de certains « casses » du premier ayant servi à financer les seconds, le tout orchestré par le sombre SAC (Service d'Action Civique)... Chronique d'une mort annoncée clôture le triptyque qu'Olivier Berlion a consacré à l'histoire du juge Renaud sous le titre Le Juge- la République assassinée (Dargaud). Habitué des polars en BD, l'auteur a rendu sa reconstitution d'une affaire -pourtant complexe- passionnante de bout en bout. Mais la réalité, il est vrai, dépasse parfois la fiction ! Olivier Berlion nous en parle.

Pourquoi, plus de quarante ans après les faits, être revenu sur l'histoire du juge Renaud ?

Ca s'est présenté un peu par hasard. J'étais trop jeune au moment de ces événements pour m'en souvenir, et c'est mon père qui m'en a parlé. Au départ ça m'a intéressé car je connais tous les lieux où l'histoire s'est déroulée, et puis, en me documentant, j'ai découvert un personnage passionnant et l'injustice qui existe encore autour de son combat. Malgré l'impact de l'affaire à l'époque, on a l'impression que François Renaud n'a même pas été reconnu pour ses fonctions. Quant aux médias d'alors, ils ont plus volontiers insisté sur certaines méthodes de Renaud, considérées comme des provocations, que sur ce qu'il avait commencé à soulever et ce pourquoi il est mort.

Existe-t-il toujours une espèce de tabou autour de cette histoire aujourd'hui ?

Je pense qu'il existe encore une gêne, et que celle-ci a notamment été présente dans la presse pendant des années. On a beaucoup parlé de l'assassinat à l'époque, mais la presse n'a pas creusé très profond, et le sujet a très vite été oublié. Or, comme l'explique le dossier qui accompagne la BD, des « petites phrases » ont continué à être exprimées par certains protagonistes, comme autant d'indications ou d'indices quant à un dossier qui a été considéré comme classé...trop rapidement et facilement. Francis Renaud, le fils du juge, y a été confronté dans ses recherches pour l'écriture de son livre Justice pour le juge Renaud.

Quand on découvre les menaces subies par Yves Boisset pour son film Le Juge Fayard, on comprend qu'il y avait une véritable omerta autour de certains aspects de l'affaire. Beaucoup plus près de nous, Olivier Marchal a lui aussi été très prudent pour Les Lyonnais...

Oui, mais il semble que Boisset ait travaillé avec certains témoins de l'affaire, même si son film ne raconte pas spécifiquement l'histoire de Renaud, et puis le film est sorti assez peu de temps après, a subi la censure de l'époque et a créé quelques remous. Le SAC existait encore et son influence était bien réelle.

On sent aussi de la prudence, chez vous, notamment en ce qui concerne la frontière, ténue dans le cas de ce triptyque, entre fiction et réalité...

Mais il y a forcément une part d'interprétation dans ce travail. Tout n'a pas été enregistré ou consigné, et on n'a pas accès à tous les documents relevant de cette affaire. Il y a aussi des séquences qui mettent en scène certains personnages et qui n'ont rien d'officiel... Donc, oui, il y a des scènes imaginées, et je ne peux prétendre à la vérité.

Comment avez-vous procédé pour mener « votre » enquête, celle qui a abouti a l'écriture du scénario de ce triptyque ?

Essentiellement via Internet. Je n'ai pas rencontré directement de protagonistes de l'affaire ou de témoins. Je me suis basé sur ce qui existe, que l'on peut aujourd'hui connaître, pour en arriver à ma reconstitution. Ca n'a pas toujours été simple, car il s'agit de pièces éparses que j'ai essayé de rassembler, et certains témoignages, par exemple, se révèlent contradictoires. Les faits sont complexes et relèvent d'une nébuleuse difficile à appréhender. Je ne voulais en aucun cas les trahir. Je n'ai conservé que des éléments qui se recoupaient, se retrouvaient au moins deux fois dans tout ce dont je disposais. J'ai aussi, à de nombreuses reprises, tenté de me mettre à la place de François Renaud.

Justement, vous accordez une belle place à la dimension humaine du personnage, ce qui le rend attachant...

Oui, et je pense qu'il s'agit d'un des aspects qui caractérise mon travail, un travail d'auteur, et le différencie de celui de journaliste. Je voulais vraiment apporter cette dimension au scénario. Et là, évidemment, j'ai dû imaginer beaucoup de choses, impossibles à contrôler de manière précise ! Rétrospectivement, je pense que François Renaud ne se trompait pas. Il a cependant fait une énorme erreur quand, un ou deux jours avant son assassinat, conscient de la situation, il a dit à son fils que s'il se faisait abattre il entrerait dans l'Histoire... Mais on ne lui en a pas laissé la possibilité.

Vous évoquez son fils Francis, où en son combat aujourd'hui ?

Il veut réhabiliter l'image de son père et je pense qu'il a utilisé tous les moyens pour le faire. Nous nous sommes rencontrés alors que j'étais à peu près au milieu du projet. De son côté, son reportage TV réalisé avec Patrice du Tertre, Le juge Renaud, un homme à abattre, a été diffusé il y a deux ans. Je ne sais pas si on peut encore garder beaucoup d'espoir, s'il y a encore beaucoup à faire par rapport à un assassinat commis voici plus de 40 ans... Mais en y réfléchissant simplement, sans être un initié dans ce milieu, l'assassinat d'un juge qui aurait été commis par de « simples » truands à une époque où la peine de mort était toujours en vigueur, dans un contexte très différent d'aujourd'hui... En tant que tel, ça tient déjà difficilement debout...

Vous êtes un habitué du genre policier en BD, que représente pour vous ce triptyque ?

Je vois dans Le Juge – La République assassinée une sorte d'intermédiaire entre ce que je faisais jusque là et autre chose. J'ai travaillé en solo, ou avec des scénaristes, des écrivains, réalisé des fictions, des adaptations... Ici il s'agit encore d'autre chose... Mais cette histoire m'a profondément interpellé et a sans doute modifié ce qui était, jusque là, mon image de la justice. Je pense que je peux revenir à la fiction, j'ai fait ma part de travail par rapport à cette histoire, qui ne pouvait pas me laisser indifférent, et j'en suis heureux.

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Pierre Burssens
14/02/2017