Auracan » Interviews » Entretien avec François De Smet et Thierry Bouüaert

Entretien avec François De Smet et Thierry Bouüaert

"L’essentiel est de s’investir à fond avec la plus grande honnêteté possible !"

La Petite Bédéthèque des Savoirs (Le Lombard) fête son premier anniversaire. Parmi ses quatre premières publications de 2017, un volume consacré aux Droits de l’Homme – une idéologie moderne, sujet universel s’il en est, fait notamment l’objet d’une exposition au Centre Belge de la Bande Dessinée de Bruxelles jusqu’au 5 mars 2017. Nous avons rencontré les auteurs de l’album. François De Smet est philosophe et directeur de Myria, organisme fédéral belge chargé de veiller aux droits fondamentaux des étrangers, et a signé plusieurs ouvrages qui pensent la démocratie.  Les dessins, particulièrement poussés dans l’optique de cette collection, sont de Thierry Bouüaert.

Comment en êtes-vous venu évoquer la  Déclaration universelle des droits de l’homme en BD ?

François De Smet : Nathalie Van Campenhoudt et David Vandermeulen, reponsables de  La Petite Bédéthèque des Savoirs au Lombard m’ont contacté à ce sujet et m’ont demandé d’y réfléchir.  On parle beaucoup des droits de l’homme dans l’actualité, il s’agit d’un enjeu de plus en plus important et, assez paradoxalement, il est de plus en plus souvent remis en cause et parfois, quand on l’évoque, son traitement est même ringardisé. Les éditeurs m’ont mis en contact avec Thierry Bouüaert, nous connaissions chacun un peu les travaux de l’autre…  J’avais commencé à travailler de mon côté mais au départ ce n’était pas évident. Finalement c’est quand l’idée de faire parler la Déclaration s’est imposée que les choses se sont vraiment débloquées. J’avais mon fil narratif…

Thierry Bouüaert : Quand on m’a proposé ce sujet, j’ai vite pris conscience que c’était quelque chose d’important pour moi, et l’envie d’y apporter quelque chose grâce à mes traits, mon dessin est devenue assez évidente. L’intérêt manifesté par mon fils, qui a seulement 9 ans, a renforcé cette envie. De plus, comme nous avons été amenés à y travailler pendant la période des attentats de Bruxelles, la portée du thème était omniprésente dans l’actualité, incontournable. Le sujet pouvait sembler complexe au départ, mais j’ai eu beaucoup de chance, François me fournissant un texte et un découpage quasi prêts à l’emploi. A moi de porter cela en images le plus efficacement possible, et pour que chacun puisse comprendre.

On évoque souvent les droits de l’homme, or on a l’impression que le grand public ne sait pas exactement de quoi il s’agit…

FDS : Pourtant, c’est la première fois  qu’une telle charte gagnait une portée universelle, signée par presque tous les pays à l’époque de son adoption, au nord comme au sud, à l’ouest comme à l’est, et à laquelle on a ensuite donné une portée juridique réelle. En 1948, ses signataires sont conscients de la portée historique de leur acte. Tout se recompose après le pire conflit qu’ait connu l’humanité, et dont est notamment issue la notion de génocide. On se trouve dans une sorte de « fenêtre d’opportunité », qui débouchera sur les 30 glorieuses mais aussi, très vite, sur la guerre froide. Ceux qui ont élaboré la Déclaration universelle des droits de l’homme étaient également conscients que différents conflits d’intérêts à court terme allaient aussi ressurgir rapidement. Il fallait faire preuve de culot pour proposer ce texte, et le faire dans un rare moment d’unanimité.

Parmi le comité ayant élaboré cette déclaration, vous vous attachez particulièrement aux rôles de René Cassin et Eleanor Roosevelt, pourquoi ?


Thierry Bouüaert et François De Smet

FDS : Peut-être parce que leur apport a pris le plus de poids au cours de son élaboration, et qu’ils manifestaient  peut-être, tous deux, le plus de volonté d’aboutir. C’est, en tous cas, ce que l’on ressent en consultant les archives des réunions auxquelles ils ont participé entre 1946 et 1948. Il est clair que l’on ne connaît pas absolument tout ce qui s’est déroulé à cette période, mais cette option me paraissait plausible et crédible.

Thierry, on imagine aisément que vous avez procédé à un gros travail de documentation…

TB : C’était sans doute pour moi la phase la plus lourde de la réalisation de l’album. Je recherchais des documents visuels, qui puissent véritablement posséder un lien précis avec le texte et surtout qui soient très « parlants », il s’agissait donc d’une recherche, mais que je devais affiner progressivement, en plusieurs étapes, au fur et à mesure de l’avancement du projet.

Cet album a-t’il entraîné, de votre part, une approche particulière ?

TB : Pas plus qu’un autre, dans l’absolu, car j’aborde chaque type de récit de manière différente des autres. Je ne travaille pas sur une fiction de la même manière que sur une adaptation. Ici, cependant, vu le format du résultat final, les contraintes de la collection, je devais prendre en compte différents impératifs techniques, soigner la lisibilité, penser à l’étape de l’impression…  Habituellement, je travaille sur un format A2. Je suis passé à quelque chose de plus petit, A3, avec une certaine appréhesion, car j’ai quelques soucis de vue, mais finalement j’ai trouvé ça plutôt bien. J’ai veillé à ne pas surcharger mon dessin, à ne pas noyer le propos.

De nombreux albums de de  La Petite Bédéthèque des Savoirs présentent un dessin plus simple, ou humoristique, alors que vous avez choisi un style réaliste, peut-être plus élaboré…

TB : Il existe des tas de moyens d’illustrer un texte, je ne me suis pas vraiment posé cette question. J’ai travaillé avec ma forme d’approche personnelle, en toute humilité. Chacun a sa propre vision des choses, et, a priori, tout est bon. Je pense que l’essentiel est de s’y investir à fond avec la plus grande honnêteté possible.

François, on ressent une forme de fatalisme en conclusion de l’album…

FDS : Je ne suis pas un optimiste de nature. Chaque traité ou charte que l’on considère comme précurseur de la Déclaration universelle des droits de l’homme est née d’un bain de sang, comme si l’homme avait besoin de se doter d’une barrière pour que cela ne se reproduise plus. La Déclaration qui nous intéresse n’a pas échappé à ce mécanisme. Or, au-delà de ce rôle, elle comprend des notions pour nous permettre « tout simplement » de vivre ensemble…voyez où nous en sommes. Mais elle permet tout de même d’en avoir conscience, et quand ces droits sont bafoués, de le savoir et de le faire savoir. En tant que tel, c’est un progrès à souligner. La Cour européenne des droits de l’homme est une réalité, et on y débat, on y confronte les conflits aux droits de l’homme, justement. La Déclaration universelle des droits de l’homme est une construction qui doit évoluer, s’améliorer sans cesse face aux réalités du monde.

Que représente pour vous cette exposition au CBBD ?

TB : Un honneur, et un plaisir aussi. Le bouquin est mis en avant, mais sa thématique aussi. Pendant les premiers jours de l’exposition, j’ai eu beaucoup de plaisirs à observer ses visiteurs, amateurs de BD mais aussi touristes venant d’horizons très différents, et je me disais que c’était peut-être là une belle illustration de cette portée universelle. Je suis fier et honoré d’avoir contribué à ce projet, et de la confiance qui m’a été témoignée pour le mener à bien.

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
08/02/2017