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Entretien avec Max de Radiguès et Vincent Cuvellier

"Croyant cool"...  C'est bien ça, croyant cool ?!

Dans La Cire moderne (Casterman – collection Ecritures), Vincent Cuvellier et Max De Radiguès abordent très finement et avec un grand sourire, car il s’agit avant tout d’une comédie, le thème de la Foi. Un sujet devenu aujourd’hui quasi tabou que les deux compères dédramatisent joyeusement. Ce roman graphique constitue aussi pour eux, à plusieurs égards, une nouvelle expérience. En effet, Vincent Cuvellier (scénario) signe là sa première BD, et Max de Radiguès (dessin) y a pour la première fois collaboré avec un scénariste. On en parle avec les auteurs.

 Max, comment s'est mise en place votre collaboration ?

Max de Radiguès : C'est l'éditeur qui m'a contacté. A priori je n'étais pas candidat, car je n'ai pas l'habitude de travailler avec un scénariste, mais le récit de Vincent Cuvellier était assez proche de mon univers, avec cependant une grande différence, car je ne suis pas croyant, je n'ai pas reçu une éducation catholique...

 Cet aspect représentait-il un défi ?


Max de Radiguès

MdR : Pas vraiment, en plus ça se présentait à un moment particulier dans ma vie, je venais de devenir papa, et j'aurais eu moins de temps pour consacrer à un projet complètement personnel, en parttant de zéro. Disposer d'un scénario pouvait me procurer un certain confort, le défi était plutôt de voir si je pouvais m'adapter à une histoire écrite par quelqu'un d'autre.

 Et ce sujet, très particulier... ?

MdR : Non, parce que le propos du bouquin n'est pas, en soi la religion. Il s'agit avant tout d'une comédie qui met en scène de grands adolescents, pas encore vraiment adultes, et leurs questionnements. Je n'ai pas de culture catholique, mais ça n'a pas posé de problèmes par rapport au dessin. Vincent connaissait certaines choses, j'ai fait quelques recherches pour les décors, par rapport à l'itinéraire de Manu, Sam et Jordan, mais plutôt côté paysages, ambiances...  Pour les églises, si par exemple je me trouvais dans le Limousin, je regardais à quoi elles ressemblaient dans la région avant de réaliser une sorte d'aggloméré de différents lieux. Mais on n'est pas non plus dans une approche de BD réaliste.

Ceci dit, ce qui m'intéressait dans la démarche de Vincent, c'est que les images que l'on a de la religion dans la culture actuelle sont souvent, si pas négatives, au moins très controversées. Ici, on ne parle pas de la religion sous cet angle là, ni de l'Eglise, on raconte l'histoire d'un personnage qui se trouve face à des choix et qui cherche des réponses, un chemin...

 La Cire moderne marque aussi votre retour chez Casterman...

MdR : Il y a une dizaine d'années j'y avais déjà publié un court récit dans un volume collectif ayant pour thème la Corée, dans la collection Ecritures aussi...  Je pense qu'il s'agissait alors pour moi de ma première « vraie » publication, hors fanzines. Là je vis un petit retour aux sources qui ne peut que me faire plaisir. Il s'agit d'un éditeur phare grâce auquel j'ai découvert autrefois beaucoup de grands classiques, c'est assez super d'y revenir !

 Vous évoquiez une première en ayant assré uniquement le dessin de la Cire moderne, or sur Weegee, serial photographer (Sarbacane) votre précédente publication, vous êtes scénariste et avez confié le dessin à Wauter Mannaert...

MdR : Effectivement, c'est une drôle d'année de ce côté, avec ces nouvelles expériences. J'ai essayé de dessiner Weegee, mais mon dessin n'était pas suffisamment riche pour cela. New-York, par exemple, y représente un personnage à part entière, et avec mon style de dessin, je perdais des infos, je ne pouvais pas rendre cela...  Le dessin de Wauter correspondait beaucoup mieux à ce contexte, et je pense qu'il y est bien arrivé.

 Endosser ces deux rôles séparément amène-t-il un autre regard que quand on mène un projet seul ?

MdR : C'est très différent, oui...  Pour mes histoires, j'effectue un découpage complet puis le dessin. Pour Weegee, j'ai réécrit le scénario sous forme de texte continu. Connaissant mes limites, je ne voulais pas trop m'imposer...  Pour la Cire moderne, Vincent m'a fourni le scénario sous forme de texte continu, avec les dialogues. Il s'agissait d'une base à partir de laquelle nous devions trouver la meilleure manière de raconter l'histoire en images, de la rendre la plus efficace


Vincent Cuvellier

Vincent, on vous connaît essentiellement comme auteur jeunesse, qu’est-ce qui vous a amené à choisir la BD, puisqu’il s’agit de votre premier scénario ?

Vincent Cuvellier : C’est venu naturellement. J’essaye de trouver la meilleure forme pour chacun de mes récits : roman, nouvelle…et ici aller vers la BD m’a paru évident. L’histoire est axée sur les personnages et leurs dialogues et pour moi il s’agissait de la meilleure forme possible.

 La Foi n’est pas vraiment un sujet « tendance »…

VC : Non, et finalement c’est assez énervant. J’en ai un peu marre que ce soit considéré comme un sujet presque…confisqué ! Pour un croyant, ça en devient heurtant. Quand j’évoquais le projet de la Cire moderne auprès de certaines connaissances, on m’a demandé si j’étais entré dans une secte, si j’étais devenu « faible »…  Il est vraiment devenu difficile d’en parler normalerment, alors que c’est un sujet comme un autre.. J’avais l’impression de devoir me justifier. Je suis croyant, voilà tout. Mais je ne me retrouve  ni dans un aspect béni oui-oui, ni dans des dogmes très traditionnels. Mais à côté de ça, il existe encore beaucoup de marge. Il y a aussi des scènes de fesse dans la Cire moderne ! Allez, disons que je m’inscris dans une mouvance…  « croyant cool », c’est bien, ça, coyant cool ?!

 L’histoire repose sur Manu, Sam et Jordan, chacun a un caractère bien marqué. Pouvez-vous nous en parler ?

VC : Manu et Sam se sont imposés assez naturellement, le personnage de Jordan s’est construit un peu plus tard. Lui c’est un personnage de comédie pur, qui apporte à mon sens, une forme de distance et d’équilibre à l’intrigue. Au cinéma, j’aime bien les petites comédies françaises, construites sur quelques acteurs. Il ne s’y passe généralement rien d’extraordinaire, mais elles fonctionnent grâce aux acteurs, aux dialogues, à l’humour qui s’y glisse et à des situations du quotidien qui changent de proportions. Je voulais que La Cire moderne s’en rapproche, avec ce côté road-movie décalé…

 Vous parlez de road-movie, les étapes parcourues par le trio correspondent-elles à quelque chose de précis ?

VC : Pas vraiment, j’ai dû y glisser, inconsciemment certains souvenirs personnels. Il y a une quinzaine d’années j’ai traversé la France à pied, j’ai aussi fait une retraite chez des religieuses, j’ai côtoyé un curé qui s’occupait de rock chrétien, tout ça se mélange un peu. Mais j’avais surtout envie de m’amuser dans le scénario, et que l’on puisse rigoler. Les jeux inter-cloîtres entre moines athlètes, Lourdes et son espèce de police du bon Dieu, tout ça c’est tout de même un gros délire…

 Est-ce une manière de faire passer votre message en douceur ?

VC : Peut-être, mais si j’ai un message à faire passer dans ce bouquin, c’est « je parle de ce que je veux ». Oui, beaucoup de choses négatives ont été mises à jour quant à l’Eglise ces dernières années, mais on peut quand même parler de tout sans s’exciter, voilà mon message ! Je n’essaye pas de faire la morale à quiconque, ni d’imposer un truc. On peut parler…et même rigoler !

 Une première BD, y en aura-t-il d’autres ?

VC : Comme je vous l’ai dit, si cette forme d’écriture peut correspondre à ce que j’ai à raconter, pourquoi pas ? Le roman ce n’est pas trop mon truc, le cinéma c’est très lourd, le théâtre ? Ici, je n’ai pas effectué de découpage, mon scénario se limitait à une suite dialoguée, Max a assuré tous les aspects « images »…  Je n’ai pas de projet précis côté publications pour l’instant. Par contre, j’ouvre très bientôt une librairie de livres d’occasion à Bruxelles, « Les Gros Mots », au 67 de la rue Lesbroussart. On y proposera essentiellement des livres jeunesse, enfance, livres illustrés, affiches…beaucoup d’images, mais pas de BD ! Max de Radiguès en a réalisé le logo.

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Pierre Burssens
31/01/2017