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Entretien avec Bones

"Je voulais vraiment faire du fantastique,
le réalisme m’ennuie au plus haut point."

Si la période de la Première Guerre mondiale est copieusement évoquée en BD, il fallait oser l'aborder par le versant fantastique. Frédéric "Bones" Bonnelais y parvient avec La Montagne des morts, premier volet de Dessous, un triptyque publié via le système participatif des éditions Sandawe. Projet de fin d'année d'une école de dessin devenu album, le résultat est, en tous cas, impressionnant... et pas uniquement à cause d'un récit horrifique influencé par Lovecraft. Bones répond à nos questions.

Pour les lecteurs, tu es nouveau dans le monde de la BD, peux-tu nous présenter ton parcours ?

J’ai commencé la BD très tôt, vers douze ou treize ans, j’avais créé un journal que je faisais imprimer (à une dizaine d’exemplaires) par mon père qui travaillait en imprimerie, je le revendais ensuite pour pas grand-chose dans la cour de l’école, il y a dû en avoir une dizaine de numéros. Plus tard, vers 20 ans j’ai présenté, comme beaucoup, pas mal de dossiers aux éditeurs… mais je n’étais pas au point. Ne pouvant pas me payer une école d’art, j’ai dû arrêter et trouver divers boulots pour gagner ma vie. Ce n’est que bien après, à la suite d’un licenciement économique de la boite ou je travaillais, que je me suis vu offrir la possibilité de faire une reconversion, j’ai donc checké toutes les écoles de dessins en région parisienne, jusqu’à en trouver une qui soit spécialisée dans la BD. J’en suis ressorti au bout d’un an avec un diplôme d’illustrateur.

Comment est né le projet Dessous et quel a été son cheminement ?


autoportrait de Bones

Dessous était mon projet de fin d’année lorsque j’étais en école de dessin. Tout au long de l’année, nous devions travailler sur un dossier éditorial et le présenter à un jury de professionnels pour obtenir le diplôme. Au tout début, Dessous n’était qu’une vague histoire de zombies réanimés par des expériences allemandes dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Gaspard n’était qu’un jeune soldat et pas le type qui vient du muséum d’histoire naturelle. Il manquait beaucoup de choses pour que cela soit plus intéressant, comme le fait que les Allemands ne soient pas forcément les grands méchants ou encore le lieux ou se déroule l’intrigue. La seule chose dont j’étais certain, c’était de vouloir mélanger histoire et fantastique, et cette première version était loin d’être ce que j’avais en tête. Ce n’est que quelques mois plus tard, lors de la visite de Vauquois, que tout s’est mis en place, ce lieu était le théâtre idéal pour ce type d’histoire… Et si la cause réelle de ces gigantesques cratères nous avait été cachée ? Je suis donc rentré chez moi, j’ai tout repris à zéro et trois jours plus tard Dessous était écrit.

Démarrer par une BD "de genre" aussi typée, avantage ou inconvénient ?

Si je me base sur les refus que j’ai reçu de la part des éditeurs, je serais tenté de dire « inconvénient »… beaucoup m'ont dit que c’était une grosse erreur de vouloir faire un truc comme ça en pleine période de commémorations, un m’a même dit qu'il n’avait pas aimé Inglorious Bastards pour cette façon fantaisiste de revisiter l’histoire… Là, j’avoue que je suis toujours en train de chercher quel est le rapport… mais je pense qu’il n’a même pas lu le synopsis. L’avantage, maintenant que le bouquin est sorti, c’est que ça permet sans doute de se démarquer un peu des productions actuelles, d’être remarqué. J’ai même eu la chance d’être invité au Musée de la grande guerre de Meaux pour y dédicacer mes albums et y faire une table ronde… Ils voulaient avoir l’avis d’un auteur qui a choisi le fantastique pour raconter un épisode de la grande guerre. Je n’en revenais pas.

Aurais-tu pu aborder autre chose, ou le fantastique s'imposait-il (sur)naturellement ?

Je voulais vraiment faire du fantastique, le réalisme m’ennuie au plus haut point. 

Le fantastique, une passion ? Grand lecteur ou cinéphile ?

Bien sur, depuis tout petit je m’abreuve de films, de livres et de BD à caractère fantastique, je suis un grand consommateur, mais, même si ça fait vieux con de dire un truc pareil, j’ai du mal à m’y retrouver actuellement, surtout au ciné, j’ai vraiment l’impression d’un formatage à grande échelle. Le summum de l’incompréhension a été l’adaptation d’Adèle Blanc Sec par Besson… Je crains le pire pour Valerian.

Qu'est-ce qui t'a amené chez Sandawe ?

Seuls deux éditeurs ont répondus ok, Patrick Pinchart pour Sandawe et un autre qui m’en offrait une misère donc j’ai tenté l’aventure du crowdfunding, tout simplement. 

Comment as-tu vécu la période de financement de La Montagne des morts et le système d'édition participative ?

Pour ma part, très bien, je sais que ce n’est pas évident pour tout le monde et que certains ont vraiment du mal avec ça, mais j’ai vite pigé le truc… Comment faire vivre son projet, partager cela avec les édinautes, lancer quelques opérations pour booster le financement etc. C’est une petite communauté très sympa, qui, si vous êtes correct avec eux, savent vous le rendre au centuple. Ma grande peur n’était pas l’étape du financement par elle-même, mais plutôt la sortie du bouquin. C’est là dessus qu’on est jugé, si ça ne plait pas, on peut dire au revoir au tome 2 ! J’avais réellement peur de décevoir les personnes qui avaient mis de l’argent dans le projet… des sommes astronomiques pour certains. Je suis maintenant rassuré, car l’accueil général est très bon. Maintenant, la pression est reportée sur le tome 2, il va falloir transformer l’essai (rires).

Cela correspondait-il à ce que tu imaginais ? 

Patrick Pinchart, fondateur et directeur de Sandawe, m’avait plutôt bien décrit la chose, et certains autres dessinateurs qui étaient déjà passés par là m’ont fait part de leurs conseils.

Ton dessin évoque celui de Mike Mignola, mais aussi d'Andreas, de Comes et de Pratt... S'agit-il d'auteurs de référence pour toi ?

Tout à fait et je le revendique haut et fort, j’ai quatre maîtres, Mignola, Tardi, Andreas et Kevin O’ Neill… Il faut dire qu’ils gravitent tous plus ou moins dans le même univers.

Quelle technique utilises-tu ?

Je travaille à l’ancienne, sur une feuille de papier de format A3, après un crayonné assez précis, j’encre avec des feutres Pigma, et un Pentel Brush… Les gros aplats de noir sont au marqueur.

Côté scénario, Lovecraft, The Thing ou Alien, là aussi des références ?

Clairement Lovecraft, pour le mythe de Chtulu et surtout le court passage du « Reanimator » dans les tranchées et The Thing pour les créatures hybrides et le huis clos… En revanche, je n’ai jamais pensé à Alien, mais rien n'empêche d’y voir des éléments.

 

Un océan de souffrance est financé à plus de 50 %, peux-tu nous parler de ce tome 2 ?

Le tome 2 se situe en 1919, trois ans après les événements survenus sur la butte de Vauquois, l’Armistice a été signé depuis un an et le Traité de Versailles est sur le point d’être ratifié. L’histoire commence par un fait réel, un sous-marin allemand qui s’échoue sur la plage d’Hastings en Angleterre, on va y retrouver Gaspard bien changé et un Bär qui a une toute autre fonction. Ensuite, sans trop en dévoiler, je peux juste dire que même si l’histoire semble se répéter, ce n’est peut-être pas le cas.

Et après Dessous, as-tu déjà d'autres projets ?

J’ai deux dossiers en construction, toujours du fantastique d’époque mais rien de signé, ça va faire le tour des éditeurs d’ici quelques mois. 


Un océan de souffrance, planche 13, à paraître

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Pierre Burssens
17/05/2016