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Entretien avec Vincent Zabus et Thomas Campi

La parole d'Ottavio

Il y a 4 ans, Sergio Salma signait Marcinelle 1956 dont l'action était centrée sur la tragédie du charbonnage du Bois du Cazier à Marcinelle (B). Les éditions Dupuis ont choisi cet endroit hautement symbolique pour récemment présenter Macaroni !, le bel album de Vincent Zabus et Thomas Campi à la presse.

L'album, à travers la rencontre d'un jeune garçon et d'un grand-père jusque là taciturne parle de l'immigration italienne, du travail des mineurs, de transmission et du difficile accouchement de la parole quand, une vie durant, on a été habitué à se taire.

Après avoir vécu en Chine, le dessinateur Thomas Campi réside aujourd'hui en Australie. Sa présence pour l'occasion et pour une tournée de dédicaces en France et en Belgique était donc exceptionnelle.


Thomas Campi et Vincent Zabus

« L'idée de cette histoire a germé grâce à une amie qui était fascinée par les récits que son grand-père faisait de la mine et de la vie des mineurs, explique Vincent ZabusOr, souvent, les mineurs ne parlaient jamais de la mine à la maison. L'idée était donc de construire une sorte d'enquête, conduite par la curiosité de Roméo, 10 ans, face à celui qu'il appelle "le vieux chiant", Ottavio, son grand-père paternel, particulièrement taciturne et distant. Et à travers cette rencontre, on évoque peu à peu le destin de ces immigrés venus travailler dans les mines, dans des conditions très difficiles, et de cette forme d'exil loin leur pays. »

Une dimension qui a touché Thomas Campi : « Les conditions sont différentes, mais je suis italien et j'ai vécu en Chine et puis en Australie... Donc cette notion d'éloignement, j'y étais particulièrement sensible. Et j'ai une grand-mère qui, elle, a vécu au Brésil avant de regagner l'Italie... quelque part, c'est dans la famille ! ».


 

Les bases de l'histoire ont, elles aussi, connu un long cheminement avant d'aboutir à l'album : « Au départ, explique Vincent Zabus, je voulais en faire un scénario pour la série Le Monde selon François. Renaud Collin et moi avions commencé à y travailler. L'histoire prenait une direction fort différente, vu l'univers de la série. Le vieux mineur perdait la mémoire, or ses souvenirs, eux, se matérialisaient et reprenaient vie... On peut d'ailleurs retrouver pas mal de documents sur cette forme du projet dans l'intégrale du Monde selon François. Ensuite Renaud s'est attaché à d'autres projets mais j'ai continué à plancher sur ces éléments, à travers différentes versions de l'histoire, dont une devenue pièce de théâtre jeunesse et qui a été représentée plus de 300 fois. Nous avions déjà réalisé deux albums avec Thomas (Les Petites gens au Lombard et Les Larmes du Seigneur afghan, avec Pascale Bourgaux chez Dupuis Aire libre), j'ai pensé à lui et, avec le soutien de notre éditrice Laurence Van Tricht, je lui ai proposé le projet, tout en continuant à le retravailler. »

Le dessinateur accepte et le duo entame une troisième collaboration : « Le gros avantage était que l'on se connaisse, car c'est important d'écrire pour "son" dessinateur. Je savais, par exemple, que Thomas pouvait, par son dessin, installer toute l'atmosphère de l'histoire, mais aussi faire jouer les personnages "juste", et en connaissant ses capacités, je pouvais me permettre à la fois de m'adapter et de susciter sa réaction. Pour nous, c'est un vrai échange, et c'est ce que je recherche. Je crois vraiment au duo. Et j'essaye de travailler avec des dessinateurs-créateurs en respectant tout ce qu'ils peuvent apporter, par leur talent, à mes histoires. »

Macaroni ! comporte, il est vrai, de fort jolies trouvailles graphiques, comme quand les souvenirs d'Ottavio apparaissent, éthérés, dans sa modeste maison : « C'était nécessaire à l'histoire, explique Thomas Campi, et curieusement, alors que cela pouvait sembler complexe, j'ai trouvé le moyen de traduire cela graphiquement assez rapidement, en travaillant uniquement avec les couleurs, sans trait, ce qui donne à ces images un côté un peu évanescent, irréel, et qui est tout de suite compréhensible pour le lecteur. »

L'album présente des décors typiques de Marcinelle et de la région de Charleroi : « J'avais besoin d'ancrer mon histoire quelque part, précise le scénariste, et quand j'ai découvert le sujet, même si j'aurais pu le situer dans d'autres lieux qui ont été marqués par les charbonnages, Charleroi s'est imposé. La tragédie du Bois du Cazier et ses 262 victimes a touché toute la région, et quand on découvre ce site aujourd'hui, et sa valorisation, on comprend encore plus son importance. On est venus en reportage ici il y a deux ans, prendre des photos... »

« En travaillant dessus, ajoute Thomas Campi, on s'est un peu approrié le lieu. Aujourd'hui, 2 ans plus tard et avec l'album en main, j'ai l'impression qu'il est devenu pour moi un des décors de l'histoire d'Ottavio, qu'il lui appartient un peu et que je le redécouvre comme cela. La boucle est bouclée ! C'était l'endroit parfait pour présenter Macaroni ! »

N'oublions pas non plus que Marcinelle constitue le berceau historique des éditions Dupuis. Mais il est clair que Macaroni ! pourra trouver son public bien au-delà d'une région que l'on surnommait, au temps de sa grande époque industrielle, le Pays noir. L'album, préfacé par Salvatore Adamo, va d'ailleurs connaître une première traduction en anglais, via un éditeur australien avec lequel Thomas Campi est en contact. Une traduction en Italien est, elle aussi en préparation. Ottavio ne s'attendait certainement pas à pareille mise en lumière de sa destinée ! 

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Pierre Burssens
13/04/2016