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Entretien avec Philippe Geluck


L'Art et le Chat
le catalogue de l'exposition
édité par Casterman

 « J’exprime ce qui est en moi
du mieux que je peux. »

Pour inaugurer son nouvel espace d’expositions situé rue de l’Arbre Sec à Paris, le Musée en herbe accueille une étonnante exposition mêlant des chefs d’œuvre de la peinture ou de la sculpture avec des œuvres nées de l’imagination de Philippe Geluck. Ce dernier s’est amusé à interpréter ces toiles, ces sculptures à sa manière, souvent avec la complicité de son félin favori Le Chat. Le résultat est ludique et amusant. Il permet à la fois d’admirer des œuvres originales d’exception et des peintures en grand format ou des statues de cet auteur belge multimédia. À cette occasion, nous l’avons rencontré. Il nous parle avec humilité de cette expérience et de son travail.

D’où vient cette idée de confronter des œuvres d’art avec de leur interprétation par Le Chat ?

L’idée en revient à Sylvie Girardet, la créatrice et animatrice du Musée en Herbe. Un Musée à destination des enfants qu’elle a créé il y a 45 ans. Elle avait vu mes hommages à des peintres dans des expositions comme celle du Grand Palais à Art Paris en 2014. Et elle avait flashé. Du coup, elle m’a proposé un face à face : essayer d’obtenir de vraies œuvres de peintres célèbres et de les mettre face aux miennes. J’ai trouvé ça génial. C’était en 2014. Il a fallu 2 ans pour penser l’exposition, obtenir des prêts… On a quelques chefs d’œuvre ! Un Picasso, un Soulages à tomber par terre, un Basquia, un Koons…

Ce doit être un peu impressionnant de se confronter à de tels chefs d’œuvre…

 

Philippe Geluck
© Marc Carlot / Auracan

C’est une démarche de gamin un peu inconscient. Même pas peur ! Picasso, Velasquez, mettez-moi qui vous voulez et j’y vais ! Quand les caisses sont arrivées au Musée et qu’on a sorti les vrais tableaux, j’ai eu un petit moment d’angoisse en me disant : « Mes pitreries vont paraître bien minuscules à côté de ces géants ! » Et puis, pas du tout, ça marche à fond ! Ça veut dire que ce dialogue, cette conversation entre artistes à travers le temps, à travers l’espace, est parfaitement possible. Que Mondrian peut répondre aux peintures de Lascaux. Que le plus minimaliste peut se confronter à Rembrandt. Maintenant si on les met côte à côte… Le public jugera. Je ne prétends égaler personne. Je me dis juste : la cohabitation fonctionne. L’un renvoie à l’autre. L’un porte l’autre.


Le martyre de Saint-Sébastien d'Annibale Carracci


Le martyre du Chat par Philippe Geluck

C’est un dialogue à 3 : il y a Carracci, il y a le spectateur et il y a moi avec Le Chat. La conversation se fait entre les 3. Elle est immédiate. Et elle est joyeuse.

Vous avez choisi les œuvres ou on vous les a imposées ?

Il y a eu les 2. En termes de chefs d’œuvre, on ne choisit pas toujours, on essaie d’obtenir d’abord. J’avais choisi d’exposer Pollock, mais on ne l’a pas obtenu du MOMA. J’aurai aimé avoir l’un ou l’autre, ce n’était pas possible. Parfois avec insistance, on a obtenu. On pouvait avoir un Giacometti, mais au moment où ils nous ont dit qu’il fallait l’assurer pour 35 millions d’euro, on s’est dit : « On ne peut pas ». Il en y avait pour 18.000 euros rien que pour la prime. Donc on a dû y renoncer. Buren m’avait répondu un peu sèchement par une lettre recommandée : il refusait formellement d’être dans l’exposition L'Art et le Chat. Je lui ai répondu : « Cher confrère, suite à votre lettre recommandée du xxx, je vous promets que vous ne serez pas dans l'exposition ». J’ai encadré les 2 lettres que j’ai mises aux toilettes. La particularité de ce WC est que la battante de la lunette est peinte avec des lignes noires et blanches… Un petit clin d’œil en passant.

Dans certains cas, vous confrontez vous utilisez la technologie de notre époque en regard d’une peinture ancienne. Je pense notamment à La Laitière de Vermeer qui a une lumière particulière, et votre Chat éclairé par des leds.

Dans le dessin du Chat, la lumière est électrique. Vermeer n’avait pas l’électricité, donc il a dû, comme une pauvre tâche, essayer de reproduire la lumière qui venait de la fenêtre (rires). Quand les peintres flamands ont visité l’Italie, ils ont fait le voyage à pieds ou à dos de mulet, maintenant on le fait par Ryanair. On utilise les moyens de l’époque dans laquelle on vit. Moi j’ai l’électricité, lui ne l’avait pas ! Un double clin d’œil. Mais cela donne au tableau une vraie douceur.


La Laitière de Vermeer

 

Le Laitier de Geluck

C’est aussi un moyen de donner une lumière particulière là où vous ne travaillez qu’avec des aplats de couleurs.

Oui, mais chez Le Chat la lumière est intérieure. (Rires).

Pour ce qui est des sculptures, c’est vous également qui les avez mises en forme ?

Oui, oui, je sculpte ! En terre, pas au burin. Je n’attaque pas un marbre de Carrare (rires). Je vais un jour le tenter, car je voudrais comprendre ce que Michel-Ange avait dit : « J’ai vu le cheval dans le bloc de marbre ». Je risque de pêter du marbre, mais bon, on va essayer ! Surtout quand je ferai le petit doigt à la fin. Et paf, merde ! Là, je travaille en terre à modeler au départ. Je crée ma forme, mon mouvement, la sculpture. Ensuite, je travaille avec un sculpteur, François Deboek. Il m’aide à terminer parce que lui est le roi de la finition. C’est lui qui fait les moules. Parce que poncer un truc pour lui donner une allure absolument finie c’est un travail que je peux déléguer, mais la sculpture doit jaillir de mes mains au départ. J’adore ça ! Si je ne me retenais pas, je passerais des mois à faire des trucs. Mais je ne peux pas non plus arriver avec 17 sculptures. J’essaie d’en faire une importante par an. Un beau bronze. Et c’est passionnant !

Vous êtes un amateur d’art. Vous avez été initié par votre père. Est-ce que cela vous apporte des réflexions graphiques ?

Bien sûr que ça me fait réfléchir sur mon travail, mais c’est ainsi depuis toujours. Ici je mets un peu sur l’étal, mon ressenti. Ca provoque surtout en moi beaucoup d’humilité. De me dire: « Ces mecs ils ont fait ça, comment ont-ils fait… Quelle puissance ! ». Même si le résultat est agréable aussi bien esthétiquement qu’intellectuellement, que l’un à côté de l’autre, ça fonctionne. Je sais bien que si je me mets à côté de Warhol, je ne suis rien. Warhol est une icône mondiale, je suis juste un amuseur régional. Dans ma tête, ça garde très bien les choses en place. Elles n’ont jamais été déplacées dans ma tête. Je ne me suis jamais dit : « Tiens, je suis important ; je peux faire comme eux. » Je suis ma ligne. J’exprime ce qui est en moi du mieux que je peux. Il se fait là que je suis encore vivant comme 4 de mes collègues : Ben, Soulages, Christo, Koons. Ce qui est drôle, c’est que ça se passe quand je suis vivant. On pourrait très bien faire une exposition et mettre des cases de Franquin à côté de chefs d’œuvre de l’art ou que sais-je. Les confrontations, ça a toujours été fait. Et dans les Musées, et dans les palais… Les meilleurs exemples sont sans doute Buren avec ses colonnes au Palais Royal à Paris, et la Pyramide du Louvre. Ce sont des choses qui se font, parfois du vivant de l’artiste, parfois longtemps après. Et je ne suis pas certain que, par exemple, Le Caravage et Monet auraient aimé être côte à côte dans des salles de Musées. Or ils l’ont sans doute déjà été. Cela existe de tout temps et on ne peut pas rassembler que des gens qui avaient envie d’être ensemble. Il faut parfois forcer le destin.

Les œuvres issues de la bande dessinée arrivent maintenant aussi sur le marché de l’art. Y a-t-il encore une différence entre les auteurs de BD et les peintres ?

Oui, ce n’est pas du tout le même métier. La grande différence, c’est qu’une planche de bande dessinée est faite pour être publiée dans un album ou dans un journal. Dans la BD que nous faisons un travail d’artisan, d’artiste certes, mais d’artisan avant tout, et le matériel que nous produisons est fait pour être imprimé. Personnellement, je ne suis pas amateur d’exposition de BD dans laquelle on me montre 45 planches l’une après l’autre. Je préfère lire l’album. De temps en temps, il y a une vraie émotion parce que l’original est quelque chose de particulier… Un Franquin où on voit comment il a gratté, arraché le truc… Là il y a quelque chose. Quand je pense que parfois on nous sert des fac-similés. Où est l’intérêt ? Non, vive l’album ! Tandis que les peintures, les sculptures sont destinées à être exposées. Est-ce que pour autant les dessinateurs de BD doivent commencer à faire du travail en grand format pour faire semblant d’être des peintres ? Pas forcément. Il y en a chez qui ça marche, d’autres chez qui ça ne marche pas du tout. Au départ, ce que j’ai fait, c’est agrandir des dessins que j’avais réalisés en petit pour en faire des grands formats. J’y ai pris du plaisir, il ne faut pas le nier. Maintenant, j’essaie d’avoir une production dédiée au grand format, mais qui n’est pas du tout du matériel destiné aux albums. Dans ce cas, cela peut être assimilé à une peinture.


Venus Balloon par Jeff Koons

 

La Réflexion du Chat par Philippe Geluck

Fallait-il que Le Chat soit là absolument ?

Non. Avec Le Chat, les visiteurs m’identifient plus facilement. Il y a un côté affectif. Est-ce que je suis prisonnier de ça ? Prisonnier bien volontaire. C’est drôle… Car c’est à la fois une prison et à la fois un espace de liberté infini. J’avais dessiné Le Chat qui disait : « Le canari est persuadé que nous vivons en cage parce qu’il nous voit toujours derrière des barreaux ». En fait, c’est exactement ça. La prison dans laquelle je suis c’est hors de la cage. Donc pourquoi est-ce que je me priverais de ça alors que c’est ma porte naturelle, qu’il est mon meilleur vecteur de communication vers tout le monde. Je sais que si c’est lui les gens vont s’arrêter et éventuellement vont mieux entendre que si c’est autre chose.

L’idée de cette exposition est d’amener des enfants dans un musée. Est-ce dur d’y parvenir ?

Si les parents sont partants, c’est un bonheur. Et j’ai déjà croisé des petits de 4-5 ans… Mon plus grand bonheur serait de me dire que les enfants viennent voir ça avec leurs parents, leur école ou leur groupe et quand ils ressortent de là ils se disent : « Ouais super ! Quand est-ce qu’on retourne au musée ? » Peut-être que s’ils vont dans un musée plus sérieux, ils vont se dire que ce n’est pas aussi marrant - ce qui est bon pour moi, pour ma réputation (rires). Mais peut-être qu’ils s’en rappelleront parce qu’elle leur a montré qu’on peut avoir un œil un peu décalé, et qu’ils ne doivent pas tout prendre au premier degré.

Pour en savoir plus sur l'exposition : le site du Musée en Herbe


L'Art et le Chat : les oeuvre vues par Philippe Geluck

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Marc Carlot
08/03/2016