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Entretien avec Thilde Barboni

                                                « Je voulais amener le lecteur à cogiter... »

Nous avions déjà interviewé Thilde Barboni à l'occasion de la sortie du premier volet de Monika dessiné par Guilhem March (Dupuis). Alors que paraît chez Sandawe Les Jumeaux célestes, tome 2 des Anges visiteurs, on mesure que l'auteure, écrivain, a signé en 8 mois, outre un roman (Les notes de Jimi H. - éd. Luce Wilquin) les scénarios de deux diptyques de qualité. L'occasion était belle de revenir avec Thilde Barboni sur ces Anges visiteurs, mis en images par Emmanuel Murzeau et qui nous parlent avant tout... de nous !

On pouvait situer Monika dans une légère anticipation, alors qu'avec Les Anges visiteurs vous nous plongez en pleine science-fiction...

Oui, mais encore une fois il s'agit d'une SF un peu hybride. J'aime beaucoup la SF mais pas son côté « méchants monstres prêts à dévorer les humains ». Je préfère de loin quant elle est connectée au présent, quand elle peut faire réfléchir, et j'espère que le but est atteint avec Les Anges visiteurs. L'histoire se déroule sur un temps très court, avec un élément perturbateur, ces deux créatures, qui font irruption dans le quotidien des personnages principaux, mais aussi des journalistes, des militaires... Et c'est d'ailleurs pour cela que j'avais très envie qu'Eva et Les Jumeaux célestes puissent être publiés sur un délai relativement serré.

Anges ou aliens ?

Aliens, évidemment, mais l'image de l'ange m'interpelle depuis longtemps. Dans quasi toutes les cultures, on trouve des traces et des représentations de créatures ailées, parfois bien antérieures au christianisme qui, d'une certaine manière, a récupéré cette présence et l'a exploité. Emmanuel Murzeau a d'ailleurs reproduit certaines de ces représentations antiques dans l'album. Et ces représentations ont été, pour moi, un des points de départ du récit. Mais je n'y ai introduit aucune connotation religieuse, et ce qui fournit les ailes de mes Anges est l'appendice biomimétique dont ces créatures disposent. Des filaments essentiels dans l'histoire. Au-delà de ces personnages, j'avais aussi envie d'induire une réflexion sur la place de la Terre et de notre univers. Pourquoi n'existerait-il qu'un seul univers ? On évoque notre univers, mais il pourrait y en avoir d'autres, d'autres soleils, d'autres galaxies... De nombreuses théories actuelles s'intéressent d'ailleurs à cette notion de multi-univers ou multivers...


Recherches d'Emmanuel Murzeau
pour le personnage de Scott

Vous êtes-vous documentée au sujet de celles-ci ?

Un petit peu, sur ces univers-bulles et les passages qui pourraient exister entre eux... Mais Les Anges visiteurs restent dans la fiction, même si je suis très heureuse que ce récit puisse ouvrir à la réflexion. L'expression "Anges visiteurs" apparaît dans La Genèse, ils sont les annonciateurs de l'Apocalypse, or je trouve que nous vivons une époque dangereuse...

Est-ce cette époque qui nous conduit à une fin d'histoire relativement pessimiste ?

Je ne sais pas si la fin est vraiment pessimiste. Il s'agit de créatures indépendantes, elles repartent et voilà...

Mais leur message laisse peu d'espoir...

Peut-être peut-on encore se ressaisir... Mais nous traversons une époque explosive. Internet participe aux grandes mutations actuelles. Une info qui serait autrefois restée confidentielle se trouve aujourd'hui diffusée à l'échelle mondiale via les réseaux sociaux, et les mutations de la société sont renforcées et accélérées par cette ère du numérique. Non seulement nous sommes tous fichés, mais en plus nous nous auto-fichons ! Dans les années 70' des révolutions auraient éclaté pour moins que ça ! Et je pense que nous devons prendre nos responsabilités face à ces tendances.

Est-ce pour cela que dans Les Jumeaux célestes ces moyens de communication sont coupés ?


Eva et Scott

Oui, et pour ramener les lecteurs à la réflexion. Que ferais-je si je me trouvais face à une telle créature ? J'appelle la police ? Des scientifiques ? Des journalistes ? L'armée ? Faut-il tout révéler ? Le tome 1 est relativement lent pour les mêmes raisons. Les personnages principaux sont confrontés à quelque chose qu'ils ne comprennent pas, qui les dépasse. Comment réagirais-je  à leur place ? D'autres aspects peuvent amener à cogiter. Par rapport à ces créatures, Scott ne devient-il pas un alien ? Il y a une scène d'amour, mais n'est-il pas simplement étudié comme un spécimen ? On peut explorer de nombreuses directions...

Pour en revenir à votre travail de scénariste, on a l'impression qu'il y a une rupture après Purple Cats, le titre écrit pour la série Agence Interpol (Dupuis), et Monika et Les Anges visiteurs, plus construits, plus personnels aussi...

Je ne parlerais pas de rupture, mais de plans différents. J'adore voyager d'un genre à l'autre, et on peut le voir de cette manière. Interpol était un amusement, et un travail de commande ! Un titre de la série devait se dérouler à Rome et on a fait appel à moi car je connais très très bien cette ville... À côté de cela, Monika a été très difficile à écrire. Son univers est très lourd, la relation entre les deux soeurs devait être caractérisée, il y a ce robot... J'y ai trouvé une forme de libération, mais l'écriture a été difficile, tout en étant beaucoup plus prenante. Les Anges visiteurs viennent au départ d'une nouvelle, La Crypte, écrite peu après le décès de ma mère, et inspirée par un cauchemar résultant de cette disparition... Vous remarquerez d'ailleurs que dans la BD, la mère est ressuscitée par le vaisseau. Ce dernier est très important. Le projet sur lequel je travaille avec le dessinateur Olivier Cinna pour la collection Aire Libre, Hibakusha, pourra lui aussi ouvrir à la réflexion, avec un aspect un peu plus philosophique...

En moins d'un an on retrouve votre signature sur deux diptyques impressionnants. La BD constitue-t-elle, aujourd'hui, une priorité parmi vos nombreuses activités ?

J'ai toujours fonctionné par périodes, en fait. Il y a eu les romans, le théâtre, les feuilletons radiophoniques... mais pour l'instant, oui, la BD est ce qui m'intéresse le plus. La collaboration avec un dessinateur peut être magique. J'ai ma vision des choses, il a la sienne, et l'association des deux aboutit à quelque chose d'encore différent. J'adore vraiment cela et j'aimerais beaucoup continuer dans ce domaine.

Rétrospectivement, quel regard portez-vous sur ce principe d'édition participative proposé par Sandawe ?

Certaines critiques d'édinautes ont parfois été très dures, et injustes. Un auteur doit tenir les ficelles de son projet et ne pas se mettre « aux ordres de... », même s'il est vrai que les édinautes permettent l'édition de l'album. Les deux tomes ont pu être financés rapidement et publiés dans un délai assez court, et je tire mon chapeau à Emmanuel Murzeau qui a travaillé comme un fou pour que l'on puisse y arriver. Je retiendrai aussi des rencontres fantastiques avec certains lecteurs et édinautes. Cerise sur le gâteau, notre édinaute principal est astrophysicien, et vu la thématique des Anges visiteurs, j'en suis vraiment très fière !


L'étrange apparition d'Eva

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Pierre Burssens
22/02/2016