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Entretien avec Janry 2/2

Outre les 25 ans du Petit Spirou, l'actualité de Janry est également marquée, en cette fin d'année, par la publication du deuxième tome de Poussin Ier, jeune volatile égocentrique créé et scénarisé par Eric-Emmanuel Schmitt. Et puis, n'oublions pas que Janry est également le scénariste de Passe-moi l'ciel. Stuf (Stéphane de Becker) disparu, quel est l'avenir de la série ? Des points que Janry aborde avec nous dans cette seconde partie d'interview...

Votre autre actualité est la publication du tome 2 de Poussin Ier, scénarisé par Eric-Emmanuel Scmitt. Comment s'est construite cette collaboration ?

Eric-Emmanuel Schmitt a souhaité me rencontrer pour démarrer ce projet. J'étais très honoré, en tant que graphiste, mais je ne me sentais, au départ, pas trop à l'aise avec cet univers animalier. Mais il s'agissait d'un défi intéressant, et même passionnant. C'est le genre de chose qui permet à un auteur de BD de mesurer son potentiel. Nous nous sommes rencontrés lors d'un petit dîner, on a pas mal discuté du projet et nous nous sommes progressivement animés autour de celui-ci, avec, à l'issue de cette rencontre, l'envie de travailler ensemble...

 Votre collaboration avec Eric-Emmanuel Schmitt est-elle différente de votre manière de travailler avec Philippe Tome ?

Oui. Philippe et moi avons chacun une formation de dessinateur-scénariste, et Philippe utilise le volet « dessinateur » dans ses scénarios, avec, dès le départ, une idée de la mise en page, des expressions des différents personnages etc. Eric-Emmanuel Schmitt me soumet ses histoires sous forme de texte. Cependant, sa formation de metteur en scène de théâtre lui permet de distinguer l'essentiel du superflu. Il décrit précisément ce qu'il veut, où on se trouve dans le poulailler, me fournit les textes des protagonistes... Il s'agit d'une forme de narration traditionnelle, mais qui fonctionne tout aussi bien !

Vous évoquez le poulailler, l'espace dans lequel se déroulent Les Aventures de Poussin Ier. Mais il s'agit d'un espace limité, on se trouve dans un huis-clos. Comment ne pas vous répéter dans ces conditions ?

Moi je ne me pose pas cette question. Au début, quand on veut devenir dessinateur, on rêve de dessiner des avions, des bagnoles etc... Mais peu à peu, quand la BD devient un métier, on mesure que cette dimension change. Quand on raconte une histoire, il peut sembler frustrant de dessiner une poubelle, une grille d'égout, un panneau routier... mais on doit passer par là si on veut que le lecteur s'immerge dans un univers qui a des points communs avec le sien. Quand je dessine une histoire, je dois développer le plus de connexion possible avec le lecteur. Je peux réussir un décor formidable, mais si ce genre de détail ne fonctionne pas le lecteur butera dessus, et ce genre de petite chose peut mettre l'ensemble en péril. On ne peut pas se permettre de rater ça ! Avant de mettre en chantier Poussin Ier, je me suis documenté, j'ai été voir des poulaillers, en essayant de discerner ce que je devais retenir pour rendre vrai mon poulailler dessiné. Nous disposons d'une sorte d'appareil photo inconscient qui imprime des images en nous, et en tant que dessinateur je dois pouvoir restituer au lecteur à la fois ce qu'il connaît et ce que je veux qu'il enregistre. Ce principe est exigeant, mais il me paraît essentiel. Et le cultiver m'a permis d'acquérir autant de plaisir à dessiner un brin d'herbe ou une boîte de conserves que des choses qui peuvent sembler plus gratifiantes...

Le nouvel album du Petit Spirou, Tout le monde te regarde, est dédié à Stéphane De Becker, alias Stuf. Il était non seulement votre collaborateur pour Le Petit Spirou, mais aussi le dessinateur de Passe-moi l'ciel, dont vous assurez le scénario. La série va-t-elle se poursuivre avec un autre dessinateur ?

Oui, je crois que je vais continuer ! Ce projet lui était cher et ça ne lui aurait pas fait plaisir de savoir que ça s'arrêterait ! Show must go on, comme l'on dit, et il me semble que poursuivre Passe-moi l'ciel permettra, d'une certaine façon, de prolonger l'existence de Stéphane. Il possédait son propre graphisme, mais je lui proposais mes scénarios sous forme de croquis... Oui, je vais dessiner Passe-moi l'ciel. J'ai d'ailleurs réalisé une histoire de 3 pages pour le Spirou de Noël, avec Stuf qui se retrouve chez Saint Pierre...

Vous parlez de l'hebdo Spirou, quelle est l'importance de la prépublication pour une série aujourd'hui ?

C'est quelque chose qui évolue vite et beaucoup et que l'on doit, à mon sens, situer dans un contexte plus général. Une prépublication permet de donner une visibilité à ce que vous faites. Aujourd'hui, chacun est soumis à des quantités d'informations, à énormément d'images, et la prépublication permet, tout simplement, de faire savoir que votre « produit » existe. On doit également prendre en considération l'évolution du journal Spirou. Il était jadis l'outil principal de l'éditeur, mais avec l'arrivée de la télé, des feuilletons, son rayonnement s'est estompé au profit des albums. Le grand mérite de Dupuis a été de le conserver, de le maintenir, et de lui donner un rôle de laboratoire où tester de nouvelles séries, de nouveaux projets. Et j'observe que, finalement, beaucoup de jeunes continuent à lire Spirou et qu'il conserve un attrait et un intérêt réels. D'un autre point de vue, le journal s'articule en locomotives et en wagons. Avec Le Petit Spirou, nous sommes passés du wagon à la locomotive. J'imagine que c'est possible si une série naît sous une bonne étoile, et même si ça peut prendre du temps. Mais les locomotives tirent les wagons, et peuvent les y amener. La presse « papier » est en crise, et la BD n'y échappe pas, mais je pense qu'il y aura toujours une place pour un magazine qui applique ces principes. Et j'ai l'impression que si Spirou allait vraiment mal, ce serait un gros signal d'alarme, si pas un très mauvais signe pour la BD en général.

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Pierre Burssens
10/12/2015