Auracan » Interviews » Entretien avec Christophe Gibelin

Entretien avec Christophe Gibelin

« J'avais envie de trouver une manière de dessiner
qui me corresponde complètement. »

Le 20 janvier 1943, Jean de Selys Longchamps, pilote belge de la RAF, bombarde une gare de triage à Gand (Belgique). Il ordonne ensuite à son ailier de rentrer à la base et met le cap sur Bruxelles, où il vient, seul, mitrailler le plus haut immeuble de l'avenue Louise, au numéro 453, devenu le siège de la Gestapo. Christophe Gibelin a construit le scénario de Typhoon à partir de cet exploit. Le premier volet, très réussi, de ce diptyque est récemment sorti dans la collection Cockpit des éditions Paquet. L'auteur y dévoile une nouvelle approche graphique particulièrement esthétique. Nous avions envie d'en savoir plus...

Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser à cet exploit effectué par un pilote belge de la RAF ?

Dans les années 90', je collectionnais les biographies de pilotes de la Seconde Guerre mondiale, et j'ai découvert celle de Charles Demoulin, intitulée Mes oiseaux de feu. Il y évoquait un projet de mitraillage de l'immeuble de la Gestapo à Bruxelles, effectué par un copain d'un autre escadron : Jean de Selys Longchamps, passant outre au refus de ses supérieurs. Or, suite à ce mitraillage, un réseau de résistance avait été démantelé... On avait là les bases d'un scénario formidable ! J'ai mis l'idée de côté, et puis elle est ressortie, un peu par hasard. J'ai commencé à travailler dessus, à alimenter ce scénario, j'avais aussi envie d'en profiter pour retravailler complètement mon graphisme. Pierre Paquet s'est montré enthousiaste, et voilà comment a démarré Typhoon !

Votre point de départ est constitué de faits historiques très précis. Quelle marge de manoeuvre avez-vous conservé pour en faire un scénario de BD ?

A Bruxelles, près du monument à J. de Selys Longchamps
Gibelin à Bruxelles, près du monument
Jean de Selys Longchamps

Tous les événements relatés dans Typhoon sont véridiques, mais ils sont arrivés à différentes personnes et je les ai glanés dans des journaux de l'époque, des biographies ou des documentaires de différents horizons. Typhoon se base sur des faits historiques, mais reste une fiction. Or, le principe d'une fiction, pour que le lecteur adhère à l'histoire, est de rendre ses personnages intéressants à chaque page. Ceci implique un travail de mise en scène. L'histoire que vous racontez doit aussi pouvoir tenir sur une pagination limitée. C'est pourquoi j'ai changé les noms (Jean de Seys), la physionomie des personnages principaux, etc. Typhoon ne constitue pas une biographie, et je ne voulais froisser personne. Il y a donc dans mon récit une part de vérité, mais dans une vision synthétique qui répond aussi à mon envie de montrer ce qu'était la réalité des pilotes à cette époque.

On constate justement, notamment dans le cahier graphique qui complète l'album, que vous accordez beaucoup d'attention au quotidien, aux petites choses fort éloignées des exploits aériens...

Oui, et c'est nécessaire. Au niveau des avions, on se doit d'être hyper-précis. Je sais que ce type de BD va rencontrer un public d'amateurs, de passionnés d'aviation qui vont s'attacher à tel ou tel détail. Mais si on peut tenir le lecteur en haleine en décrivant un duel aérien, son attention doit être maintenue une fois l'avion au sol, quand le pilote va tout simplement boire une tasse de café. Et pour y arriver, le dessin de la cafetière doit, à mon sens, être aussi précis que celui de l'avion dont le personnage vient de sortir.

Vous êtes également illustrateur aéronautique, dans ce cadre, le "Hawker Typhoon" qui donne son titre au diptyque vous plaisait-il particulièrement ?

Absolument, il s'agit d'un avion que j'aime beaucoup et depuis longtemps. Je le trouve très beau, tout en sachant qu'il ne fait pas l'unanimité. Je trouve qu'il a un côté un peu rural, pataud... même « très légèrement moche », mais qui fait sa particularité et qui me plaît beaucoup. À l'époque, les pilotes n'étaient pas chauds pour voler dessus. Ceux qui avaient piloté un "Spitfire" ne voulaient pas quitter leur machine et considéraient presque cela comme une punition. Les débuts du "Hawker Typhoon" furent laborieux, mais l'avion reçut pas mal d'améliorations au cours du conflit et finalement ceux qui le pilotaient l'adoraient.

Vous évoquiez la refonte de votre graphisme, et on mesure une vraie recherche esthétique sur chaque planche, chaque case de l'album...

Je vous remercie du compliment ! À l'issue des Ailes de plomb, j'avais vraiment envie de trouver une manière de dessiner qui me corresponde complètement, et que je puisse définir et maîtriser. J'ai cherché dans différentes directions pendant près d'un an avant de la trouver. Je voulais pouvoir mettre le dessin plus en avant, lui donner sa juste place par rapport aux couleurs et au scénario. Il fallait aussi que je puisse mener cela sur du long terme. J'ai donc privilégié de plus grandes cases, moins nombreuses, afin de pouvoir développer davantage le dessin. Les couleurs contribuent plus à l'ambiance générale des différentes séquences qu'à compléter réellement le dessin. Ces différentes composantes me semblent mieux réparties, et l'ensemble me paraît plus cohérent, ce qui rend la narration plus limpide, plus facile à suivre. Cette mise au point graphique n'a pas été évidente. À un moment, j'étais parti sur des planches réalisées en couleurs directes, j'en avais 5 mais le résultat était un peu bancal, j'ai préféré tout recommencer !

Une narration pour laquelle vous prenez votre temps, avec quelques planches et scènes muettes...

C'est une question d'ambiance. Le lecteur doit pouvoir ressentir le non-dit, ou le non écrit. Et comme l'on dit, certains silences en disent long... Il existe d'autres moyens d'alimenter le lecteur que par une profusion de cases et de texte. Ceci permet de jouer sur le rythme, d'accélérer ou de ralentir le récit. Une BD impose certaines contraintes, mais sur Typhoon je me sentais libre de passer par ces procédés.

En début d'album, vous remerciez deux personnes pour une spécialité culinaire et des « données techniques  spécifiquement belges ». On constate notamment que vous avez introduit dans le texte de nombreuses expressions typiques du parler bruxellois...

J'adore faire parler les personnages avec leur langage propre, ça fait partie de leur construction. Je me suis bien amusé avec l'argot pour Les Ailes de Plomb. Le tout est de rester compréhensible pour le lecteur, mais cela donne de la couleur aux dialogues. Je n'aime pas les voix off et dans Typhoon, l'écriture se répartit entre une narration épistolaire et les dialogues. Certains petits trucs en anglais apparaîtront dans le deuxième volet, j'avais aussi amené un peu d'allemand, mais Pierre Paquet m'a fait comprendre que c'était trop. J'ai donc gardé de quoi caractériser les pilotes belges de la RAF, pour le reste, je pense aux films de guerre en noir et blanc que je regardais quand j'étais gamin, dans lesquels tout le monde parlait français mais avec des accents très cinématographiques !

Cela représente-t-il quelque chose de particulier de vous trouver à Bruxelles pour y dédicacer Typhoon ?

D'une manière générale, ça me fait toujours plaisir de rencontrer mes lecteurs, mais ici, avec Typhoon, c'est assez particulier. Tout le monde ou presque connaît l'histoire de Jean de Selys Longchamps et j'ai l'impression que ça amène une autre perception du bouquin. Et puis j'ai découvert le monument qui commémore son exploit... Je suis parti d'une réalité pour développer une fiction, et ici la réalité vient rejoindre la fiction. Oui, c'est assez spécial, plaisant et émouvant aussi.

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
27/04/2015