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Entretien avec Thierry Culliford et Luc Parthoens

Thierry Culliford

Thierry Culliford © I.M.P.S.

« Nous ne sommes pas une multinationale.
Ça reste familial : ma mère, ma sœur et moi-même
sommes les garants de l’esprit Peyo. »

© Peyo / IMPS - Le Lombard

© Peyo / I.M.P.S. - Le Lombard

Après plus de dix ans sans nouveauté et un film sorti en décembre 2014 (Les Taxis rouges), Benoît Brisefer est enfin de retour ! Avec Sur les traces du gorille blanc (Le Lombard), Luc Parthoens et Thierry Culliford au scénario, Pascal Garray à la mise en scène et Nine Culliford aux couleurs relancent une série créée il y a 55 ans par le mythique Peyo. Rencontre avec le fils du créateur des Schtroumpfs, et avec Luc Parthoens, principal scénariste de ce nouvel épisode de Benoît Brisefer.

Pourquoi avoir attendu dix ans pour publier un nouvel épisode de Benoît Brisefer ?

Nous sommes victimes de ce que Peyo a connu dans les années 1970 : les Schtroumpfs, mondialement connus, cannibalisent ses autres créations. Je pourrai facilement faire travailler le Studio à 100 % sur les Schtroumpfs. De son vivant, mon père était déjà débordé par d’innombrables sollicitations. Sur les deux premiers Benoît Brisefer, s’il signait scénario et dessins, il avait confié tous les décors à Will. Ensuite, il a cédé le dessin de la série à François Walthéry puis à Albert Blesteau. Puis est survenue une longue interruption d’une dizaine d’années, mon père étant très pris par la création de dessins animés des Schtroumpfs, un long-métrage, de nombreux produits dérivés… Il a très vite été dépassé par l’ampleur internationale qu’ont prit les Schtroumpfs !

© Peyo / IMPS

© Peyo / I.M.P.S.

Vous avez néanmoins relancé les séries Johan et Pirlouit et Benoît Brisefer quelque temps après son décès, survenu en décembre 1992.

En effet, en 1990, j’avais réussi à le convaincre de redevenir auteur de BD à temps complet, de ne plus se soucier des contrats, des dessins animés, des produits dérivés… Ma sœur Véronique a pris en charge tous ces aspects juridiques et commerciaux. Il était prêt à redevenir dessinateur à temps complet, ce qui était sa vocation première. Malheureusement, il n’a eu le temps de ne faire qu’un seul album avec moi, Le Schtroumpf financier. Mais nous étions engagé avec l’éditeur pour produire de nouveaux albums de Johan et Pirlouit et de Benoît Brisefer. Ce que nous avons fait. Mais ces deux séries restent des succès d’estime, elles n’ont pas le même retentissement qu’un nouvel album des Schtroumpfs.

Extrait du tome 14 © Peyo / IMPS

Benoît Brisefer, extrait du tome 14
© Peyo / I.M.P.S.

Pouvons-nous faire un rapide comparatif ?

Un Schtroumpf, c’est 250 000 exemplaires à la nouveauté, alors qu’un Benoît Brisefer c’est 30-35 000 exemplaires. Certes, et j’en suis bien conscient, 30 000 exemplaires est déjà un chiffre formidable ! Mais, comparé aux Schtroumpfs, c’est gentil, cela ne touche que le public belge et français. N’oublions pas qu’au Studio Peyo, nous engageons près de 40 personnes. Ils font donc faire, comme on dit en Belgique, « faire tourner la baraque » et respecter nos engagements.

L'affiche du film Les Taxis rouges

L'affiche du film Les Taxis rouges / DR

Est-ce la mise en chantier du film Les Taxis rouges qui a provoqué la réalisation de ce nouvel album de Benoît Brisefer ?

Effectivement, le projet de film reprenant certains éléments des épisodes Les Taxis rouges et Madame Adolphine nous a donné envie de relancer la série, afin de faire découvrir ce personnage de Peyo à un nouveau public, plus jeune. C’est ma sœur Véronique qui s’est occupé du film. Elle a très bien géré tout cela.

Avez-vous l'envie de poursuivre la série Benoît Brisefer ?

Attendons de voir l’engouement des lecteurs. Mais j’insiste sur un point : il ne s’agit pas d’une question financière. Nous publions cette nouveauté parce que cela nous fait plaisir. Peut-être qu’un jour je ferai un nouveau Johan et Pirlouit, ou un nouveau Benoît Brisefer, mais sans contrainte d’un éditeur qui vous impose une date de sortie. Le faire à son aise, en prenant le temps, même si cela prend deux ou trois ans. Et vous savez, il n’est pas évident de trouver un dessinateur, tel Pascal Garray, qui arrive à s’immerger dans l’univers Peyo. Je ne cherche pas des copieurs du style de mon père, mais des créateurs qui aiment son graphisme, qui parviennent à maîtriser la clarté de sa patte… Ce n’est pas une chose évidente.

© Peyo / IMPS

Benoît Brisefer, première case du tome 14 © Peyo / I.M.P.S. 

Qu'est-ce qui vous a décidé à reprendre le flambeau, à poursuivre les séries créées par votre père Peyo ?

© Peyo / IMPS

Benoît Brisefer
extrait du tome 14
© Peyo / I.M.P.S.

Quand mon père est mort, ma sœur et moi ne nous sommes pas dit : « Il va falloir reprendre les affaires et voir ce qu’on peut faire ». Personnellement, je travaillais depuis déjà une dizaine d’années avec lui. Tout cela s’est fait par hasard. Personnellement, je faisais des études d’architecture d’intérieur, et pour m’amuser, je commettais quelques bandes dessinées avec mon plus vieux pote, Stéphane Jannin, et ça a donné la série Germain et nous parue dans la rubrique « Le Trombone illustré » du journal Spirou. De loin, mon père m’observait, puis est venu le jour où il m’a proposé de venir le seconder. Et cela fait 35 ans que ça dure ! Ma sœur, elle, faisait des études de secrétariat de direction. À l’époque, mon père n’avait même pas de secrétaire. Sur sa table de travail, il y avait des dessins, des planches, des factures, des contrats, des courriers de lecteurs… Elle s’est alors proposé de poser une après-midi par semaine pour venir le seconder. Et rapidement, cela est devenu un plein temps ! Cela s’est fait ainsi au cours des années 1980... À la mort de mon père, un pion majeur de l’équipe nous a certes quitté, mais il y avait déjà toute une équipe bien rodée. Derrière, nous étions prêts à assumer la continuité de toutes ses activités : dessins, merchandising, télévision, dessins animés… Nous avions appris le métier à ses côtés, sur le tas. Nous n’étions certes pas du tout préparés à ce qu’il nous quitte si vite, mais l’équipe était là. Cela a été très dur psychologiquement... Il n’avait que 64 ans.

© Peyo / IMPS

Benoît Brisefer
extrait du tome 14
© Peyo / I.M.P.S.

Le retour des lecteurs a-t-il été important pour vous donner l'envie de continuer ?...

Assurèment. Quand les premiers albums de l’après Peyo sont parus, notamment un épisode de Johan et Pirlouit (La Horde du corbeau, scénario d'Yvan Delporte et Thierry Cuffiford, dessins d'Alain Maury, ndlr), nous avons eu de formidables retours, nous précisant que nous avions bien conservé l’esprit Peyo, l’univers Peyo. Cela nous a permis de prendre confiance et de continuer l’œuvre de mon père. À la différence de Hergé qui avait précisé que Tintin disparaîtrait avec lui, mon père a toujours dit qu’il avait eu la chance de créer des personnages qui font plaisir à des millions d’enfants et espérait que cela continue après sa mort. Avec ma sœur, conscient d’avoir hérité de ce magnifique patrimoine, nous avons décidé de continuer à faire vivre son œuvre et ses personnages. Je pense que lorsqu’on fait des chouettes choses, il n’y a pas de raison que cela s’arrête !

Parlons de ce 14ème tome de Benoît Brisefer

Il s’agit du premier Benoît Brisefer écrit par Luc Parthoens. J’avais scénarisé avec lui plusieurs Schtroumpfs. Je l’ai écouté quand il m’a apporté des idées pour cet album. En discutant, nous avons opté pour un thème africain, évoquant un safari, le trafic d’animaux sauvages… J’ai développé le synopsis avec lui, puis je lui ai laissé le champ libre, ayant été très pris par le développement d’un nouvel album des Schtroumpfs. En toute humilité, j’y ai très peu participé, cet album est son bébé. D’ailleurs, je me sens bien plus à l’aise avec les Schtroumpfs qu’avec Brisefer. En tant que scénariste, je nage plus facilement dans l’univers des Schtroumpfs que dans ceux de Johan et Pirlouit ou de Benoît Brisefer. Le monde des Schtroumpfs me fait plus rêver, et mon imagination travaille mieux dans ce contexte-là.

Les héritiers et continuateurs de Peyo : Thierry, Nine et Véronique Culliford en décembre 2007 / DR

Les héritiers et continuateurs de Peyo : Thierry, Nine et Véronique Culliford en décembre 2007 © I.M.P.S.

Votre mère Nine Culliford supervise toujours les mises en couleurs…

Tout à fait. À 85 ans, elle continue à faire ce que nous appelons des « indications de couleurs ». Elle dispose de calques des planches sur lesquels elle colorise aux crayons les couleurs que les coloristes du Studio Peyo réalisent à l’ordinateur. Elle a eu un rôle très important dans l’œuvre de Peyo, mettant en couleurs ses planches depuis le début, et même au-delà, jusqu’à aujourd’hui.

Le mot de la fin, avant de passer la parole à Luc Parthoens, scénariste de l'album Sur les traces du gorille blanc ?...

Nous n’avons jamais vendu la marque Peyo à personne. Nous ne sommes pas une multinationale. Ça reste familial : ma mère, ma sœur et moi-même sommes les garants de l’esprit Peyo.

© Peyo / IMPS

Benoît Brisefer, extrait du tome 14 © Peyo / I.M.P.S.

Luc Parthoens

Luc Parthoens
© Le Lombard

3 questions à Luc Parthoens

Comment devient-on le nouveau scénariste de Benoît Brisefer ?

J’avais envie de me confronter à ce personnage que je lisais enfant. Précédemment, j’avais déjà collaboré au synopsis du premier Brisefer de l’après Peyo, Hold-up sur la pellicule, scénarisé par Luc Dugomier. Dans un premier temps, pour ce nouvel album, j’étais partie sur l’idée de parler de faux extraterrestres, mais Thierry Culliford a trouvé cela assez casse-gueule. J’ai alors proposé une aventure africaine. Je suis né en Afrique noire, c’est un univers que je connais bien. En cherchant un nom fictif, car dans la série on ne cite jamais de lieux réels, nous avons trouvé ce nom de Bulundi, très proche de celui du Burundi.

Vous mettez en scène un amusant président qui est victime de trafiquants d’animaux…

Même s’il peut rappeler le dictateur Moboutou avec sa fameuse toque en fourrure, il s’agit d’un clin d’œil. Dans mon histoire, il s’agit d’un président bon enfant, totalement manipulé. J’avais surtout envie de placer certains éléments qui situent l’histoire dans une certaine modernité. Même si cet épisode de Benoît Brisefer n’est pas un album à message. Aujourd’hui, l’Afrique est pillée : je voulais dénoncer cela.

© Peyo / IMPS

© Peyo / I.M.P.S.

Comment « fait-on du Peyo » aujourd’hui ?

Depuis que je travaille chez I.M.P.S. (la société qui gère la galaxie Peyo, ndlr), j’évolue parmi les nombreux personnages que Peyo a créé. Je me suis basé sur les premiers albums de la série en me posant certaines questions : comment mettait-il en scène ses personnages, comment déclenchait-il l’aventure avec ce petit bonhomme qui a une force phénoménale ? Tout en conservant certains détails propres à la série que nous devons raconter de façon différente ! Réponses dans ce nouvel album...

© Peyo / IMPS

Benoît Brisefer, extrait du tome 14 © Peyo / I.M.P.S.

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