Auracan » Interviews » Entretien avec Yoann

Entretien avec Yoann

« Fabien Vehlmann et moi trouvions que le costume de groom
faisait complètement partie de Spirou. »

Après avoir inauguré la collection Le Spirou de… avec Les Géants pétrifiés, Yoann et Fabien Vehlmann se sont vus confier la reprise de la série-mère, Les aventures de Spirou et Fantasio en 2009. Le groom de Sniper Alley, quatrième album signé par le duo, projette les héros à la recherche du trésor d’Alexandre Le Grand en Aswana, pays africain en fin de guerre civile, c’est-à-dire encore très agité ! Une grande aventure particulièrement mouvementée qui multiplie les clins d’œil à l’univers du personnage emblématique des éditions Dupuis. Nous avons rencontré Yoann, le dessinateur, de passage dans les bureaux de l’éditeur.

Avec Le groom de Sniper Alley, vous abordez un genre encore différent de vos trois Spirou précédents. Hasard ou choix délibéré ?

Il s’agit d’une volonté de Fabien Vehlmann et moi, et nous avons également réalisé que cela constitue une tradition dans la série, hormis pour certaines histoires qui ont été développées sous forme de diptyques. Regardez ce qui a été fait, et vous constaterez que chaque album présente une thématique très différente du précédent et du suivant. Ici, après une histoire se déroulant à Champignac, une aventure de SF, une sorte de thriller financier, nous abordons avec Le groom de Sniper aAley, une grande aventure, exotique, un peu à la Indiana Jones

L’album, tout en étant un one-shot, compte de très nombreuses références à l’univers mis en place par vos prédécesseurs, et même à Gaston Lagaffe…

Effectivement, et là aussi il s’agit de quelques chose que nous apprécions et que nous recherchons. D’une part parce que l’univers de Spirou est très riche, nous en sommes tout de même au 54e album, et puis parce que, même si Spirou vit, d’une certaine manière, un changement d’époque à chaque changement d’équipe, nous devons respecter une forme de continuité. Même si nous tentons d’apporter quelque chose de neuf, le Spirou d’aujourd’hui a été façonné par son histoire. Gaston et le Marsupilami, je crois que ça fait du bien de les faire réapparaître. D’autant plus que l’on retrouve Gaston à la rédaction… ça paraît naturel.

Depuis votre reprise de la série, vous avez aussi rendu à Spirou son costume de groom…

Oui, même si ça peut paraître désuet. Sans son costume, Spirou est une personne comme une autre. Regardez Batman ou Superman, ils vivent dans un relatif anonymat et c’est quand ils enfilent leurs costumes qu’ils deviennent des super-héros. Aujourd’hui, les gamins sont abreuvés de comics, de mangas avec des personnages aux looks bariolés extraordinaires, dans leurs jeux vidéo aussi. Même si être groom n’est sans doute pas le poste le plus valorisant que l’on puisse trouver, il fait partie du personnage, et le costume aussi. Spirou a évidemment dépassé ce statut, mais il reste la mascotte du journal. C’est Franquin qui a enlevé ce costume. André Franquin était un génie, mais ce n’est pas pour cela que l’on est obligé d’être d’accord avec tout ce qu’il a fait, et Fabien et moi trouvions que le costume faisait complètement partie de Spirou.

Vous l’avez évoqué, Spirou a été façonné par ses auteurs successifs. Que désirez-vous, ou que tentez-vous, de votre côté, de lui apporter ?

Difficile de répondre à cette question sans Fabien… Je pense que l’on a envie d’apporter un peu plus de profondeur aux personnages, d’amener le lecteur à s’intéresser un peu plus à eux, à ce qu’ils sont  plutôt qu’à ce qu’ils vivent. Et je crois que ça peut aider à vraiment les singulariser, les différencier. Ca leur apporte aussi une part de mystère. Sans passer par cela, il me semble que l’on revient toujours aux mêmes archétypes de héros, au risque de se répéter. Et nous voulons éviter ça !

Fred Blanchard est de nouveau de la partie en tant que designer de la série. Quel est son rôle ?

Il intervient sur des séquences que j’appellerais « à grand spectacle ». Pour Le groom de Sniper Alley, son apport est principalement concentré sur la partie « aventure », le labyrinthe, la deuxième moitié de l’album, en somme. Sa formation et son métier consistent en cela, les décors, le design, et dans ces domaines il est bien meilleur que moi, et surtout beaucoup plus rapide. Dans La face cachée du Z, il a notamment signé tous les véhicules lunaires, il a été bercé de SF de 2001, l’Odyssée de l’Espace à Alien… Mais sa participation n’est pas systématique. Il y a une sorte de convention entre nous, il intervient si j’en ai besoin. Dans le nouvel album, j’ai assuré la première partie, les maisons, les décors traditionnels, les blindés etc… Mais les décors du labyrinthe c’est complètement lui. J’aurais sans doute pu les dessiner, mais probablement moins bien et ça m’aurait pris beaucoup plus de temps. Mais on peut aussi imaginer qu’il n’ait pas à intervenir sur un album.

Les dernières cases de l’album laissent augurer de fameuses retrouvailles dans le prochain épisode…

Oui, mais ce n’est pas gagné d’avance ! On court un gros risque d’incohésion et Fabien va devoir s’attacher à expliquer pourquoi le Marsupilami, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été absent aussi longtemps des aventures de Spirou, autrement que par des aléas éditoriaux…

Peut-on y voir un tournant dans la série ?

Il est trop tôt pour le dire. Mais il s’agit d’un défi supplémentaire, en même temps que d’un rêve pour tout auteur ou lecteur qui aime Spirou et a aimé le bout de chemin qu’il a parcouru avec le Marsupilami. Ce n’est pas facile, c’est clair. Nous devons retrouver l’histoire du Marsupilami, recoller des morceaux, expliquer tout cela, et alors que vous parliez de tournant, nous savons Fabien et moi que nous y serons attendus, au tournant.

Pourtant, vous avez joué la carte de l’audace avec la couverture du récent n° 4000 du journal Spirou…

Ah oui, il s’agit d’une idée de Fabien Vehlmann, et comme le magazine était placé sous le signe du bug du n° 4000, de l’anomalie, pourquoi ne pas mettre en scène cette anomalie… flagrante. Mais il s’agit juste d’un clin d’œil, je ne pense pas que ce soit abusif.

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
22/12/2014