Entretien avec Yves Frémion
Yves Frémion © DR |
« Aujourd'hui, nous avons mille fois plus besoin d'Anarchy Comics... »
En 2013, Jay Kinney, auteur et éditeur underground états-unien, a publié l'intégrale Anarchy Comics, reprenant les 4 numéros de cette revue parus entre 1978 et 1986 et à laquelle collaborèrent 30 auteurs du monde entier. Cet été, les éditions Stara ont publié en français cette intégrale. Yves Frémion, alias Épistolier, l'un de ces auteurs, revient sur cette aventure pour Auracan.com en 3 questions-réponses.
Yves, pourquoi et comment vous êtes-vous retrouvé dans l'aventure Anarchy Comics ?
J'étais un spécialiste de l'underground. Dans les années 70’, j'avais traduit plusieurs récits de Robert Crumb, par exemple, ou de Gilbert Shelton. D'autre part, dans L’Écho des savanes, à peu près à la même époque, j'avais une série BD, La Liberté à travers les âges. J'ai réalisé une dizaine de scénarios, avec un dessinateur différent à chaque fois, une dizaine ou une douzaine de pages pour chaque. Lorsque Jay Kinney a voulu faire un comics sur l'anarchie, en 1977-1978, il a repéré l'une de mes BD dans L’Écho des savanes. Il m'a contacté, et trois de mes histoires seront reprises dans Anarchy Comics, dont Cronstadt dessiné par Volny. Il faut dire aussi que j'avais déjà interviewé Jay Kinney, entretien repris dans Les Nouveaux Petits-Miquets (éd. Le citron hallucinogène, 1982). L'année dernière, Jay a décidé de publier une intégrale d'Anarchy Comics.
Jay Kinney, Yves Frémion, alias Épistolier, et Volny à Paris en 1980 |
Yves Frémion et Jay Kinney |
Que représentait cette idée de Liberté à travers les âges ?
J'ai toujours été passionné par cette thématique, et ai notamment écrit un livre, Les Orgasmes de l'Histoire, illustré par Volny (éd. Encre, 1980), qui revient sur trois mille ans d'insurrections spontanées. Je voulais montrer la récurrence de la reprise en main de son destin par le peuple. Donc, La Liberté à travers les âges avait pour projet de faire une BD de ces histoires. Le dernier scénario que j'ai écrit s'appelle Les Gracques, mais n'est jamais paru. Trublin, qui l'a dessiné, m'a montré il y a peu ces planches, que j'ai scannées. J'ai aussi réalisé des histoires avec Anne-Marie Simond...
Plus de trente ans après Anarchy Comics, quel regard portez-vous sur cette expérience éditoriale ?
Il faut comprendre qu'Anarchy Comics s'inscrit dans l'après-1968, une période où des choses se sont créées, ont bougé, où les gens se sont réveillés, où il se passait toujours quelque chose. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, aujourd'hui, nous avons mille fois plus besoin de ça. Aujourd'hui, ce qui a plus de deux ans est déjà complètement oublié. Nous vivons dans un monde complètement répétitif, et les nouvelles technologies ne font que répéter les mêmes choses, servent à répéter les mêmes choses. Heureusement, il reste des personnes qui fouillent, qui restent vigilants sur ce qui les entoure. Chez les libertaires, c'est une façon d'être. Jay Kinney, par exemple, s'est remis à travailler. Et il existe aujourd'hui beaucoup d'éditeurs libertaires, notamment aux États-Unis.
Propos recueillis par Mickael du Gouret en septembre 2014
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