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Entretien avec Henri Reculé

« Un album, c'est une histoire que l'on essaye
de raconter le mieux possible... »

Cassio. La série aurait pu s'appeler Le Mystère Cassio, tant Stephen Desberg et Henri Reculé ont multiplié les pistes et fait naître des hypothèses dans l'esprit de leurs lecteurs au sujet de cet étonnant personnage et de son destin énigmatique. Le Peintre des morts, tome 8 récemment sorti au Lombard, offre cependant des éléments de réponse à certaines des nombreuses questions posées par ce thriller se déroulant à la fois de nos jours et dans la Rome antique. L'histoire de Cassio trouvera en effet son dénouement dans son prochain album. Le dessinateur Henri Reculé évoque pour nous cette série, son métier et sa collaboration avec Stephen Desberg

Le Peintre des morts est le huitième tome des aventures de Cassio. À l'heure actuelle, on peut parler de longue série. Quel regard portez-vous sur celle-ci, alors que le dénouement approche ?...

Pour moi, il s'agit en tous cas de la plus longue, Castel Armer et Les Immortels comptaient 5 tomes chacun. Pour Cassio, nous avions défini, avec Stephen Desberg, dès le départ, une structure et un nombre d'albums bien précis. Les 4 premiers tomes devaient traiter des 4 assassins de Cassio, les deux suivants de son ascension dans la Rome de l'époque, et les tomes 7 et 8 de sa survie et sa vengeance. Finalement, Cassio s'achèvera avec un tome 9, plus long que les précédents. Ceci nous permet de rester cohérents par rapport à l'idée de base. La fin de l'histoire approche effectivement, Le Peintre des morts dévoile des éléments importants, mais il faut également mesurer que plus on avance dans l'histoire, plus le nombre d'informations données au lecteur grandit. De notre côté, nous devons donc être attentifs à ne pas raconter n'importe quoi ou surcharger avec des choses inutiles... Le mot FIN apparaîtra, je pense, de manière logique. Un dernier album a toujours été prévu et nous n'avons jamais envisagé de tirer la série en longueur, même si elle a été bien accueillie par les lecteurs et que nous y avons travaillé avec beaucoup de plaisir. 

Depuis Le Crépuscule des anges, vous travaillez avec Stephen Desberg comme scénariste. On peut imaginer que cette collaboration a évolué au cours du temps...

Effectivement, nous avons pas mal de kilomètres au compteur, maintenant... L'avantage d'une collaboration aussi longue est que l'on se connaît assez bien et que chacun de nous peut voir ou prévoir, dans une certaine mesure, ce qui ne plaira pas à l'autre ou ce qui fonctionnera mois bien. On sait où se situer et ça nous permet d'aller plus loin. Nous fonctionnons avec de nombreux aller-retours entre pages de scénario et planches et nous n'hésitons pas, chacun, à émettre nos remarques quant au scénario ou au dessin. Je ne participe pas au scénario, mais si je constate des redites ou des choses incohérentes - ce qui peut arriver vu le nombre de séries sur lesquelles travaille Stephen - je le lui fais remarquer. Dans l'autre sens, si Stephen trouve que tel ou tel personnage ne joue pas bien son rôle, il me le signale et je corrige. On travaille sur les personnages comme s'il s'agissait d'acteurs et nous sommes donc très attentifs au ton juste.Certaines collaborations scénariste-dessinateur dans lesquelles chacun travaille dans son coin peuvent fonctionner correctement, mais la nôtre ne s'inscrit pas vraiment dans ce registre-là !

Vous avez mis en ligne plusieurs vidéos expliquant votre travail, principalement son aspect informatique. S'agit-il d'une volonté de démystifier celui-ci ?

Au départ, je voulais répondre à la demande de pas mal de personnes, rencontrées lors de séances de dédicaces ou via mon blog, curieuses de découvrir la manière dont on travaille en BD. Les gens connaissent relativement bien les étapes du travail sur papier, or depuis plusieurs années je suis passé à l'ordinateur. Il existe des points communs entre les deux mais aussi beaucoup de différences et j'avais envie d'expliquer cela. L'ordi offre de belles possibilités s'il est bien utilisé. Contrairement à d'autres, j'utilise un logiciel japonais qui me permet d'encrer, de manipuler ma planche du découpage original à la planche finie... Le temps que je gagne sur certaines étapes avec cet outil, je l'utilise pour dessiner plus et aller ainsi plus loin dans mon travail. L'idée de ces vidéos est de désacraliser un peu « LA » planche, et de démontrer que finalement, l'intérêt de s'approprier ces outils participe à l'intérêt de l'album. L'objectif reste identique au papier : inconsciemment, le lecteur doit se dire « ça existe, ça a l'air vrai, j'y crois... », autrement, la BD ne fonctionne pas !

Cela correspond-t-il à un changement dans la manière même d'aborder votre métier de dessinateur ?

Sans doute. Quand j'ai commencé, il m'était difficile d'admettre que certains dessinateurs utilisaient des photos pour leurs décors, les expressions de leurs personnages, etc. Je pense qu'à ce moment, l'idée que je me faisais d'un album était qu'il devait prouver, d'une certaine manière, qu'un dessinateur pouvait tout dessiner par lui-même. Depuis, j'ai heureusement compris qu'un album, ce n'est pas une démonstration, ce n'est pas une vitrine de ce que l'on sait dessiner. Un album, c'est une histoire que l'on essaye de raconter le mieux possible. Aujourd'hui, je n'utilise quasiment pas de photos pour mes personnages. Mais si je dispose d'un bon document pour un décor, une voiture, un avion... alors oui ! Le temps fait que l'on évolue dans sa pensée. L'important est de raconter une bonne histoire et que les gens y croient. Avant l'ordi, j'ai expérimenté différentes techniques « papier », et je ne crois pas, à l'arrivée, que ce soit indispensable. L'essentiel est de trouver un bon moyen de raconter, qui vous convient, et de s'y tenir ! Les deux premiers Cassio et les 27 premières planches du tome 3 ont été réalisés de manière traditionnelle. À partir de la planche 28, on est sur ordi, et je pense que ça ne se voit pas...

Cela arrive rarement, mais lors de la réédition du tome 1 de Cassio, vous avez retravaillé certaines planches...

Oui, ainsi que lors de la sortie de l'intégrale du Dernier Livre de la jungle, mais comme vous le soulignez, il est assez rare que l'on puisse le faire. Quand c'est possible, je préfère modifier pour améliorer, et je suis content de le faire. Il y a toujours des moments où on est moins en forme ou peut-être même des passages que l'on sent moins bien dans un album ou une série... Et on doit prendre en compte tellement de choses ! Et même les plus grands s'y trouvent confrontés. J'avais ainsi lu que Giraud avait imaginé une scène d'ouverture d'un Blueberry inspirée d'Il était une fois dans l'ouest. Il avait ça en tête à la lecture du scénario mais quand il est arrivé sur la page, il a réalisé qu'il ne disposait pas de place pour le développer et il a été à l'essentiel. Ca arrive assez souvent, l'inverse aussi, rendre magnifique une scène banale. On doit pouvoir jongler avec l'un et l'autre.

Vous aviez confié, lors d'une précédente interview, que vous ne vous intéressiez pas à l'antiquité romaine avant Cassio. Or Cassio a depuis, plus d'une fois, quitté les planches pour rejoindre des expositions associant la BD et l'Histoire avec un grand H, comme c'est encore le cas jusque fin août au musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal (Vienne)...

J'avoue que c'était un peu perturbant de recevoir cette invitation. Chaque année, ce musée organise une exposition autour d'une BD, et Cassio succède ainsi à Alix et Murena ! Ca me paraissait assez improbable, car nous ne considérons pas Cassio comme une BD historique. Certes, nous nous sommes beaucoup documentés Stephen et moi, mais il y a aussi des entorses à l'Histoire, dans Cassio, parfois tout simplement pour pouvoir coller au scénario. Ainsi, historiquement, il était quasi impossible pour un Romain du niveau soocial de Cassio de se déplacer seul. Il aurait été entouré de plusieurs serviteurs... Dans Cassio, nous avons choisi de ne pas faire passer la réalité historique avant notre histoire. Le choix des organisateurs nous semblait donc assez bizarre. Mais le musée étant proche d'un site de fouilles, ils se sont surtout attachés à mettre en avant le travail des archéologues, via le personnage d'Ornella. Lors de l'ouverture de l'exposition, nous avons été conviés à participer à une conférence, mais nous avons orienté cette dernière sur la réalisation de la série et des albums. Et les spécialistes se sont montrés assez détendus quant aux libertés que nous pouvions prendre. Nous essayons de faire vivre, à notre manière, l'époque romaine qui leur est chère, et finalement cette exposition nous a procuré des moments très sympas.


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Pierre Burssens
12/08/2014