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Des étudiants réinventent la Dame à la licorne

© Futuropolis

© Futuropolis

Après le Louvre et Orsay, c'est le tour du Musée du Cluny de s'associer aux éditions Futuropolis pour ouvrir ses portes à la bande dessinée. Un partenariat enrichissant.

Quels relais muséaux pour la bande dessinée ? Futuropolis, éditeur engagé depuis pratiquement sa renaissance au milieu des années 2000 dans un partenariat avec Le Louvre, avec la parution de l'incontournable Période glaciaire, de Nicolas de Crécy en octobre 2005, puis Orsay (plus récemment), investit un nouveau lieu, ô combien prestigieux : le Musée de Cluny. Cette digne institution, de son vrai nom Musée national du Moyen-Âge, accueille, depuis le 14 octobre et jusqu'au 26 février 2016, une exposition sur le thème de la Dame à la licorne vue par des étudiants de l'école Estienne.

Pour Sébastien Gnaedig, patron des éditions Futuropolis nouvelle vague, l'un des risques de travailler avec de nouveaux musées est de tomber dans l'opportunisme, beaucoup ayant bien compris l'apport de la bande dessinée en termes de notoriété et de finance. Si certaines institutions se sont vu opposer une fin de non-recevoir, Cluny a su trouver les mots et l'approche humaine. Entré en relation avec Futuropolis via Fabrice Douar, cheville ouvrière et initiateur de la collection de BD aux éditions du Louvre, le Musée du Moyen-Âge a vraiment ouvert ses portes au projet, ne s'immisçant pas dans le contenu, mais, au contraire, participant à l'orientation thématique, définissant un cadre et un objectif de travail. « Ce qui me séduit, plus que l'institution, c'est l'équipe, les interlocuteurs, explique Sébastien Gnaedig. Cluny est animé par une petite équipe, avec un discours clair, les choses sont simples. Mes interlocuteurs se sont vraiment investis dès le départ du projet. »

La Dameà la Licorne © Musée de Cluny

La Dame à la licorne : Mon seul désir, tenture, vers 1500
Paris, musée de Cluny - Musée national du Moyen-Âge
© RMN-Grand Palais / Michel Urtado

© Héloïse Chochois

© Héloïse Chochois
(par elle-même)

Mais quid de la tambouille ? Comment sélectionner des étudiants ? Comme choisir une œuvre plutôt qu'une autre, tant il est vrai que Cluny recèle de trésors ? Sébastien Gnaedig explicite : « Je suis membre du jury du diplôme de l'école Estienne en tant que professionnel. En général, Estienne préfère que les jurés soient membres trois ans de suite, pour une raison de suivi. Au moment où Cluny prend contact avec moi pour un projet autour de la bande dessinée, je suis juré pour la deuxième année, et je reconnais que la maturité des étudiants me bluffait. J'ai donc proposé à l'équipe de Cluny d'inviter ces jeunes de 20 ans à porter leur regard sur ce musée et ses collections. Nous sommes tombés tout de suite d'accord, Cluny était enthousiaste, puis nous avons décidé de resserrer le sujet, tant les collections sont vastes et diverses, pour opter pour la Joconde du lieu, les 6 tapisseries de la Dame à la licorne, à savoir les 5 sens plus le 6e 'A mon seul désir'. »

La répartition des tâches est limpide : à Cluny, l'accueil, les visites et l'information des étudiants ; à Futuropolis, l'approche éditoriale à proprement parler. Sébastien Gnaedig choisit « arbitrairement » 10 étudiants pour ses deux sessions déjà passés au jury, en fonction des travaux présentés pour le diplôme. Parallèlement, il souhaite aussi des étudiants en cours de cursus : « Dans l'année en cours, il y a des gens brillants, comme Zéphir, J'en ai parlé à Cluny, qui a proposé d'en faire un projet d'école. Nous avons invité 12 élèves à participer au projet d'école via un workshop d'une semaine. Toute la classe est venue au musée, et la directrice, qui est l'une des spécialistes de ces tapisseries, leur a fait une visite particulière. Pendant toute la semaine, sous la houlette de leurs professeurs, ils ont commencé à travailler à leur scénario. Ensuite, ils ont réalisé leur storyboard et les premières planches, à la suite de quoi un jury a retenu les six meilleures propositions. Dans ces trois années d'Estienne, certains se destinent à la BD, mais pas tous. Arts déco, illustration ou encore animation, cette richesse fait la valeur de ce travail sorti en album en septembre et présenté maintenant dans les salles de Cluny. »

© Mathieu Lemahieu

Le concours des 3 lunes d'argent, extrait © Henri Lemahieu

Le dirigeant de Futuropolis avait une idée précise en tête au moment de la sélection : « Je voulais des gens qui ont des choses à raconter. Dans mon rôle d'éditeur, j'ai fait attention à mélanger les genres, les histoires, dans des directions très différentes. Dans la sélection, il y a de vrais raconteurs d'histoires. Je suis sûr qu'on en retrouvera un certain nombre dans l'avenir. » Héloïse Chochois et Charlotte Arene, toutes deux sorties d'Estienne il y a un an, font partie de cette sélection : « La première avait un dessin déjà très abouti, l'autre avait présenté un travail qui m'avait bluffé sur le chant, qu'elle pratiquait, en mélangeant les médiums. »

Héloïse Chochois s'est visiblement sentie bien dans son élément : « J'aime la bande dessinée depuis toujours, les grands classiques, de Windsor McCay à Fred en passant par le franco-belge (Hergé, Jacobs...), mais aussi la nouvelle BD, avec des gens comme Nicolas Presle ou le Britannique Tom Gauld. Pour mon diplôme d'Estienne, j'ai réalisé une BD, Tourmente, une histoire originale en 60 pages. Quand on m'a proposé de participer à ce projet, il m'était impossible de dire non. » Si elle connaissait déjà bien Cluny, elle voulait revisiter le musée, pour s'en ré-imprégner : « Je voulais revoir les tapisseries. Qu'est-ce qui serait intéressant à raconter ? Les tapisseries tournent autour de la licorne, un animal de légende. Le Moyen-Âge était une époque où il y avait énormément de contraintes visuelles, les artistes de l'époque ont dû développer des moyens, des astuces très inspirantes. Quand on voit comment ils arrivent à raconter des histoires, voire plusieurs histoires en même temps, c'est impressionnant. » Si elle est actuellement en formation DSA option design illustration scientifique, elle mène déjà avec l'université d'Orsay un projet de long terme intitulé Infiltrée chez les physiciens. L'expérience de la Dame à la licorne, fruit de trois ans de gestation entre le lancement et aujourd'hui, a encore affirmé son goût, si besoin en était, pour la bande dessinée, et elle aimerait bien retomber dans le chaudron.

© Héloïse Chochois

La Dame à la licorne, extrait © Héloïse Chochois

Le parcours et les envies de Charlotte Arene, de la même promotion d'Estienne, sont un peu différents. Si elle aussi connaissait le musée de Cluny et ses fameuses tapisseries, elle reconnaît… ne pas se destiner à la bande dessinée, mais plutôt à l'animation. « Quand Sébastien Gnaedig m'a contactée, je n'étais pas sûre de pouvoir réaliser une BD, parce que je ne maîtrisais pas les codes, je n'en avais jamais fait. Du coup, j'ai abordé le sujet peut-être de manière plus cérébrale, d'où mon travail sur la symbolique. Je me suis documentée sur la licorne, un animal au concept très riche au Moyen-Âge, très complexe. La symbolique varie selon les cultures, pas seulement en Europe. Surtout, c'est un symbole alchimique très fort. Il y a une documentation et une littérature abondante sur le sujet. Mon histoire s'est naturellement construite autour de l'alchimie. En Europe, il existe un couplage avec le christianisme : la figure christique et la notion de pierre philosophale ont fusionné. Les premiers brouillons étaient un peu plus fouillés sur le personnage de l'alchimiste, j'ai dû simplifier pour faire tenir mon histoire dans 12 pages. Dans une version précédente du scénario, par exemple, c'est l'alchimiste qui avait tissé, plus tard, les fameuses tapisseries. »

La fille de l'alchimiste, extrait © Charlotte Arene

La Fille de l'Alchimiste, extrait © Charlotte Arene

© Charlotte Arene

© Charlotte Arene
(par elle-même)

Quoi qu'il en soit, les contraintes liées à l'édition n'ont pas émoussé l'envie de Charlotte Arene de retravailler ce sujet : « J'aimerais le développer de manière plus longue. Sous quelle forme ? Je ne sais pas encore, mais je le garde en tête et je continue à me documenter. Transformer le plomb en or est impossible, c'est irréaliste chimiquement, bien évidemment, mais il faut aller au-delà. J'ai donc lu beaucoup d'essais, comme Psychologie et Alchimie, de Carl Jung, ou La Licorne alchimique, d'Yvonne Caroutch. » Au vu de la diversité des 16 étudiants et ex-étudiants sollicités, l'album publié en septembre aux éditions Futuropolis montre une très large approche de l'œuvre majeure du musée.

Cerise sur le gâteau, alors que ce n'était pas prévu dans l'engagement initial, ce qui montre aussi la richesse des liens tissés, l'équipe du musée, au vu de la qualité des histoires dessinées, a souhaité exposer une sélection de planches, dont celles du parrain Émile Bravo. Un vrai enchantement.

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Mickael du Gouret
27/10/2015 - source : auracan.com