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Les Papiers du Cyclope

Des fondateurs qui ont l'oeil

Des fondateurs qui ont l'oeil !

Voici un peu plus d'un an que Professeur Cyclope est apparu sur la toile, fondé par Gwen de Bonneval, Fabien Vehlmann, Cyril Pedrosa, Hervé Tanquerelle et Brüno. Fruit d'une coproduction entre la chaîne franco-allemande Arte et Silicomix (créé par les auteurs précités), ce mensuel de BD numérique était logiquement, jusqu'à il y a peu, esssentiellement destiné à la lecture sur ordi et, surtout, sur tablette.

Fin mai, pourtant, Professeur Cyclope est également devenu un label « papier » avec l'édition de deux premiers albums issus de la revue numérique, en coédition avec Casterman et Arte éditions.

Un choix qui peut surprendre, un des intérêts de la revue numérique étant justement de sortir des modes de narration classiques de la BD, grâce aux possibilités offertes, entre autres, par le turbomedia. Certains contenus du mensuel ont ainsi été spécifiquement conçus pour le numérique, et peuvent difficilement être adaptés sous forme d'albums. D'autres, profitant d'une base BD plus traditionnelle, sont dorénavant susceptibles de bénéficier de cette déclinaison moyennant quelques modifications.

Comme le précise Fabien Vehlmann, les formes « papier » et numérique ne sont pas incompatibles, mieux, elles peuvent même être complémentaires. Deux premiers livres ont ainsi été publiés, Iba de Pierre Maurel et Le Sourire de Rose de Sacha Goerg. Techniquement, on avait découvert Iba sous forme de « scrolling » (défilement vertical) dans le mensuel numérique. Il s'agissait plus d'une BD numérisée que d'une BD numérique à proprement parler, et le remontage de ses planches pour une version papier semblait assez évident. Le Sourire de Rose, par contre, développé pour le turbomedia, a exigé un travail plus important. Le passage du numérique au « papier » n'est pas une première pour une BD ou un ouvrage apparenté. Pensons notamment aux très nombreux épisodes du webfeuilleton quotidien Les autres gens, initié par Thomas Cadène et rassemblant de très nombreux auteurs blogueurs (dont... Sacha Goerg), qui sont aujourd'hui compilés en une dizaine d'imposants volumes chez Dupuis. Ce même éditeur avait d'ailleurs lancé le numéro 0 de son Spirou Z à l'occasion du 75ème anniversaire de son héros fétiche, mais l'expérience n'a, jusqu'à maintenant, pas connu de suite.

Assez paradoxalement, l'idée d'adaptations techniques et narratives pour le passage à l'album est assez amusante. Elle rappelle en effet les contraintes auxquelles furent confrontés certains (futurs) classiques voici quelques décennies pour accéder au même support, en cette époque où la BD était essentiellement l'affaire d'hebdomadaires et alors que les albums faisaient figure de (luxueux) compléments. Le genre de chose que l'on redécouvre dans certaines intégrales ou dans des albums qui remettent à l'honneur le patrimoine d'un éditeur. On peut évidemment établir un parallèle entre le côté éphémère d'un magazine papier et celui du numérique et en déduire que l'album est là pour durer. Une conclusion qui mérite cependant d'être mise en perspective face à un marché en saturation.

Et les albums du Professeur Cyclope ? Point commun à ceux-ci, Le Sourire de Rose et Iba semblent ancrés dans notre quotidien... pour mieux s'en détacher. Sacha Goerg développe en effet Le Sourire de Rose à partir de la rencontre entre Desmond et Rose, une jeune femme cleptomane. Or, elle a dérobé à François, un inquiétant collectionneur de reliques, une pièce à laquelle il tient beaucoup. Progressivement, on passe du récit intimiste à un polar un brin surréaliste. Sacha Goerg prend le temps de faire évoluer son récit, décliné sur une centaine de pages, par petites touches, tout comme le suspense qui va grandissant. Les personnages principaux sont attachants et le dessin aquarellé séduit facilement. Les amateurs des polars décalés de Fred Vargas devraient apprécier.

Avec Iba, Pierre Maurel nous fait peu à peu basculer vers un fantastique horrifique. Qui est Iba, qui hante l'existence d'Elise depuis son enfance ? Amie imaginaire dont les jeux deviennent de plus en plus inquiétants ? Esprit mauvais ? Hallucination de la jeune femme ? Fantôme ? Pierre Maurel esquisse des pistes conduisant vers d'éventuelles réponses sans que celles-ci se précisent complètement et installe progressivement un climat angoissant qui évoque immanquablement quelques films fantastiques. L'auteur maîtise son sujet et Iba, traité en noir et blanc, se révèle diablement efficace. De quoi frissonner en ce début d'été !

Notons que deux autres albums sont déjà annoncés pour le 27 août sous le label du Professeur Cyclope : Le Teckel d'Hervé Bourhis, et Les Pénates par Alexandre Franc et Vincent Sorel. Un label à tenir à l'oeil...

Revue numérique complète : www.professeurcyclope.fr

Version allégée et gratuite : www.professeurcyclope.fr/revues/arte/fr/#chapter/toc

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Pierre Burssens

© Pierre Burssens / Auracan.com
visuels : Maurel, Goerg, Professeur Cyclope © Arte éditions, Casterman

26/06/2014 - source : auracan.com