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Alex Alice en son Château des Étoiles

1869, premier jour des vacances d’été. Un an après la disparition de sa mère, Séraphin Dulac reçoit une lettre « invitant » son père en Bavière. Le carnet de son épouse aurait été retrouvé. Le lendemain, sur le quai de la gare, ils sont attendus...

Dire qu'on attendait ce premier épisode du Château des Étoiles relève de l'euphémisme. Difficile de ne pas se rappeler des prouesses graphiques d'Alex Alice sur ses précédents albums (Le Troisième Testament, Siegfried). Annoncé en 2013 par les éditions Rue de Sèvres, c'est à Angoulême, en janvier 2014, qu'on avait aperçu les premières illustrations en compagnie d'un modèle d'avion, d'une caisse avec un sceau royal, d'un scaphandre et d'une gazette… On n'en saura pas plus. Si l'album ne sort qu'en septembre, l'éditeur souhaite le publier en trois feuilletons d'une vingtaine de pages (mai-juin-juillet 2014). Une particularité qui rejoint le concept du projet.

Avec ce premier épisode, nous n'avons « que » l'introduction du récit, mais avec quelle maestria Alex Alice nous la sert ! Si le format journal rend hommage au graphisme (de grandes cases verticales et horizontales mettent en valeur la dimension graphique), la narration et le récit tiennent une place importante. Nous sommes dans une histoire d'aventures, mais on y croise espionnage et science-fiction. Plus exactement, une science-fiction uchronique (genre littéraire qui réécrit l'histoire). Ici, ce n'est pas l'histoire qui est réécrite, mais les principes scientifiques. Alex Alice se base sur une théorie du XIXème siècle : l'éther. Les scientifiques pensaient que cette substance remplissait le vide et transmettait la lumière (théorie mise au rebut par Einstein avec la relativité restreinte).

L'auteur a voulu nous faire retrouver notre âme d'enfant. En reprenant les codes littéraires de l'époque (Jules Verne en tête de liste), il nous plonge dans une aventure de merveilleux scientifique feuilletonnesque. Mais il n'oublie pas que la narration a changé depuis le XIXème siècle. Si plusieurs cases sont vides de bulles, le rythme n'en est pas moins trépidant. Le choix des deux personnages principaux (Dulac père et fils) y est pour quelque chose. Le père est un ingénieur réputé – qui, sous un air de scientifique de bureau, cache un tempérament d'homme d'action. Quant à son fils, s'il semble maîtriser la science, il n'en est pas moins rêveur et aventureux... À la manière des enfants de 1869. Un duo séduisant qui traverse cet épisode où s'entrechoquent contexte historique et scientifique réalistes.

Si le travail scénaristique relève de la patte de l'auteur, le graphisme a totalement changé. Pour l'explication, il faut revenir à la série Siegfried. On pouvait y croiser des personnages qui n'étaient pas franchement réalistes. Dans ce tome-ci, certaines expressions rappellent ce semi-réalisme. Totalement assumé par Alex Alice, il donne un côté enfantin au récit qui ne dénote pas. La grande première, c'est la couleur directe. Balayant de couleurs pastels les planches, le résultat est fabuleux. Un véritable pari pour l'auteur et pour l'instant, c'est remporté haut la main. Le seul détail qui nous interroge, ce sont les bulles. En effet, ce n'est pas le détourage habituel. Est-ce le fait de la prépublication ? Seul l'album final nous donnera la réponse… Mais nous le répétons, ceci est un détail.

Il ne faudrait pas fermer cette chronique sans saluer le rédacteur des épisodes journalistiques. Alex Nikolavitch, spécialiste es comics, mais surtout maître es curiosities en tout genres, devait inventer une page pour que le récit et les faits historiques se croisent. Il s'est apparemment bien amusé à le faire. On y croise des contemporains (Camille Flammarion, Mark Twain), un fait divers ferroviaire, ainsi qu'un avis partagé de L'Or du Rhin de Richard Wagner (dont celui d'un certain Donnerwetter). Pour remettre ces avis, la caricature (historique par Gill) dans le contexte, il faut passer par la musique. Richard Wagner a souvent été décrié en son temps, avec sa musique dite tonitruante. Il avait par contre un mécène, dont il abusait, Louis II de Bavière... Protagoniste du Château des Étoiles (cqfd !). Un travail de documentation rigoureux, allié à un sens de l'écriture dans le ton du récit. Toute l'équipe rédactionnelle semble être soudée sur ce projet et cette première partie (sur trois) promet ! Énormément.

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Hervé Beilvaire

Le Château des Étoiles
Épisode 1 : Le Secret de l’éther
par Alex Alice, assisté aux décors d’Anthony Simon
Articles signés Alex Nikolavitch
Marbre et typographie : Benjamin Brard
Dispo aux éditions Rue de Sèvres

19/05/2014 - source : auracan.com